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que l’enclos, qui renferme la masse des spectateurs, s’appelle le parc ; de là, peut-être, notre parquet.

Mais, à vouloir faire entre l’un et l’autre un départ aussi rigoureux qu’aujourd’hui, on se tromperait sans doute, car ce n’est pas au XVIIe siècle qu’appartient la malheureuse initiative d’avoir mêlé acteurs et spectateurs. Il y a des galeries du hourd, sortes de loges d’avant-scène réservées aux personnes de haut rang, mais il y a aussi des galeries du parc, qui dominent le parterre.

Cette confusion de loges et de décors ne se retrouve-t-elle pas d’ailleurs déjà dans la miniature de Fouquet, qui est du milieu du XVe siècle et qu’on peut admirer au Musée Condé à Chantilly ? Ce peintre réaliste, voulant illustrer, dans le Livre d’Heures d’Étienne Chevalier, le Martyre de Sainte Apolline, a eu l’idée de nous le retracer au naturel, tel qu’un mystère le lui avait un jour représenté. Extraordinaire fouillis d’acteurs et de spectateurs. Le théâtre semble avoir eu la forme d’un cirque, héritée de l’amphithéâtre romain[1].L’intérêt se concentre sur l’arène, au milieu de laquelle la sainte, étroitement liée sur une planche, subit son horrible supplice : les bourreaux tirent sur les cordes pour lui écraser les membres, d’autres lui arrachent la langue avec des tenailles, tandis que l’un d’eux, abattant ses chausses, la honnit d’un geste grossier. L’Empereur, couronné, présidé, entouré de ses chevaliers ; derrière eux, on aperçoit, massée dans l’hémicycle, la foule du parterre, les groundlings comme on dit en anglais. Sans doute elle a dû s’écarter pour faire place au souverain, quand il est descendu, par une simple échelle du lieu ou mansion[2] qu’on voit au fond, et où son fauteuil royal est resté vide. À sa droite, et également sur ce premier étage de mansions, dont la plantation affecte un tracé polygonal, il avait la tribune des musiciens ; plus loin, toujours sur ce plan supérieur, un Paradis où trône Dieu le père avec ses anges. À sa gauche, au contraire, l’Empereur avait la loge des grandes dames, reconnaissables à leur hennin pointu, et, plus loin, celle des bourgeoises à chaperon plat. À côté d’elles, voisinage bruyant et dangereux, l’Enfer, face au Paradis, ouvrait sa

  1. On se servit souvent de vieux amphithéâtres pour y jouer des mystères, par exemple à Saint-Maixent et à Rome, au Colisée.
  2. Ainsi s’appelait le décor affecté à chaque scène ou épisode particulier. Mansion, est un doublet de maison. Qu’on songe à l’anglais mansion.