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Les historiens et les sociologues de l’Italie nouvelle ont souvent constaté et déploré pour leur pays l’absence d’une structure sociale solide et nettement arrêtée ; quelques-uns expliquent par là les énormes difficultés qu’ont rencontrées les plus ardents patriotes, les réformateurs les plus avisés, chaque fois qu’ils entreprenaient d’appliquer à l’Italie telle organisation administrative, tel système électoral ou telle formule de gouvernement. Pour que les classes sociales, à l’intérieur d’une nation, se constituent sur des bases fortes et durables, il faut du temps, des circonstances favorables, des efforts constants et bien dirigés. Or le peuple italien est encore très jeune ; entre les divers éléments dont il est formé, l’unité politique n’a pas aboli d’un seul coup toutes les différences ; enfin les hommes qui ont fait et organisé l’Italie ont parfois supposé résolu le problème à résoudre, et peut-être ont-ils ainsi retardé le progrès qu’ils avaient si grande hâte d’accomplir.

On retrouve dans la crise de ces dernières années quelques effets de ce développement trop rapide et pour ainsi dire prématuré, qui a mis violemment aux prises des classes encore trop mal formées pour soutenir le choc sans en rester ébranlées. Cependant, pour quelques-unes, la dure épreuve a été salutaire : devant un danger moins pressant, elles n’auraient pas poussé si activement l’œuvre d’organisation et de résistance. Autant et peut-être plus que la guerre, la longue crise intérieure a contribué au progrès social de l’Italie.

Il n’y a sans doute pas en Europe un peuple qui soit aussi démocratique que le peuple italien, ni dans lequel l’individualisme soit aussi développé. Hiérarchie et solidarité sont pour lui deux notions abstraites, qui ne semblent correspondre à aucun sentiment naturel. Les différences d’individu à individu sont aussi marquées en bas qu’en haut de l’échelle sociale, et cette variété explique en partie l’attrait que, dès le premier contact, les gens de ce pays exercent sur l’étranger. Le plus pauvre paysan de Toscane exprimera sans effort dans une langue parfaite des nuances de sentiment très délicates. Une belle dame s’approche pour caresser l’enfant qu’une jeune fermière porte sur son bras ; l’enfant aussitôt détourne- la tête. « Ha paura ! dit la dame. — Paura ? réplique vivement la paysanne. No, signora, ha