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Ils me racontent des histoires emmêlées d’Ismaéliens et de Nosseïris, que l’interprète sait mal me faire comprendre.

— Enfin, vous tous, des Ismaéliens, des fils de Rachid-eddin Sinan ?

Le propriétaire du château m’entraîne, pour me montrer une tombe. La tombe de son grand père, de son grand oncle, enfin d’un aïeul, qu’il nomme Soleiman. Et dans ses explications, voici que je retrouve le drame de 1807, tel que nous le connaissons par le voyageur Burckardt.

Burckardt, un homme très intéressant, qui vint ici en 1812. Le premier, après de longues ténèbres, et peu de gens sont venus à sa suite. Il y trouva les Ismaéliens tout bouleversés d’une rude crise, qui les avait si fort frappés qu’après un siècle c’est encore d’elle que tout de suite ceux-ci me parlent.

Le lecteur ne manquera pas de noter l’analogie saisissante que cet épisode présente avec ce que nous avons relaté de la prise d’Alamout par Hasan Sabâh. L’Asie, dans son histoire, comme dans son art décoratif, ne se lasse pas d’employer les mêmes motifs.

Les Nosseïris et les Ismaéliens sont deux peuples, deux religions, ni les uns ni les autres musulmans, bien que par prudence ils en affichent les dehors, mais se détestant plus encore qu’ils ne détestent leurs maîtres. Leurs montagnes forment un enclos où, depuis des siècles, ils luttent. En l’année 1807, trois cents familles des Nosseïris, menées par leur cheikh Mahmoud, quittèrent leur résidence séculaire, et prétextant un conflit avec les leurs, vinrent demander aide et protection à Soleiman, émir ismaélien de Masyaf. Celui-ci, enchanté d’affaiblir ses vieux ennemis, accueillit avec faveur ces transfuges. Il les logea dans son village et parmi ses partisans. Plusieurs mois se passèrent au mieux. Puis, un beau jour, alors que le plus grand nombre des habitants travaillaient dans les champs, ces traîtres Nosseïris tuèrent l’émir, son fils, autant d’Ismaéliens qu’ils purent, et se saisirent du château. Le lendemain, ils y furent rejoints par leur coreligionnaires de l’intérieur… Cette prétendue émigration était un complot préparé de longue main. Et que le secret en ait pu être conservé, trois mois, par un si grand nombre de gens, voilà, remarque justement Burckardt, qui jette une profonde lumière sur le caractère de ce peuple.

Environ trois cents Ismaéliens périrent dans cette affaire.