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et éclairé, dont les conseils seront sûrs dans vos affaires.

Il règne ici une épidémie qui, je vous le dis bien bas, frise de près le choléra ; elle sévit, comme mortalité, sur les enfants jusqu’à quinze ans compris ; il y a des villages où il n’en est pas resté un seul. Dans les villes, le chiffre de la mortalité est relativement bien inférieur à celui des campagnes. Mais, comme cette maladie s’appelle fièvres, tout simplement, elle ne cause aucun effroi, et pourtant elle a enlevé dix fois plus de gens que le choléra, qui terrifiait tout le monde. Ma maison n’a pas été plus épargnée que les autres. Carraud a commencé et, bien qu’il n’ait plus de fièvre depuis trois semaines, sa convalescence est loin d’être parfaite. Tous mes gens, même à la ferme, y ont passé, excepté Annette et Adrien. J’en ai encore deux au lit, assez gravement malades ; voilà pourquoi je ne vous avais pas répondu tout de suite, car la surveillance qu’exigeaient tous mes malades, — sans compter maître Yorick, auquel je faisais suivre un traitement préventif, — absorbait tous mes moments, y compris ceux employés à recevoir les visites obligées. — Enfin, la mort récente de la sœur de ma mère, pauvre vieille tante qui a demeuré quinze ans avec mon père, est venue m’abattre entièrement. Elle avait quatre-vingt-un ans ; elle, avait quitté Issoudun ; mais cette rupture avec un passé dont elle était le seul représentant m’a fait mal, m’a avertie que la période ascendante de ma vie était à jamais finie et que je constituais désormais le passé de la génération qui m’entoure ; et je jetais les yeux sur le tout petit, qui aura besoin de moi longtemps encore. Pourtant je suis bien lasse ! Le repos serait le bienvenu, sans cette nécessité de soutenir encore les pas de cette bien trop jeune famille.

Adieu, cher Honoré, adieu. Que le soleil luise toujours au-dessus des Jardies, que la verdure s’y conserve belle et les fleurs dans leur fraîcheur ; qu’aucune préoccupation nuisible à vos travaux ne s’y glisse et, surtout, que notre présence n’y soit pas une cause de non-travail ! Si j’étais plus forte, je me réjouirais d’aller si près de vous, afin de vous aider dans le matériel de votre travail ; mais je n’aurai jamais en moi la confiance nécessaire pour bien faire la moindre chose.

Mon mari vous aime bien ; moi je me sens digne par le cœur de l’amitié que vous me témoignez.