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choses du bonheur ! Non c’est à dégoûter de la vie. Voilà trois ans que j’arrange un nid [1] qui a coûté ici une fortune (hélas !) et il y manque des oiseaux. Quand viendront-ils ? »

Enfin, en mars 1850, Balzac épouse l’Étrangère. Il est au comble de ses vœux et pense avec attendrissement à ceux qui l’ont suivi pendant les dures étapes de sa vie. Il écrit de longues lettres triomphantes à ceux qu’il a le plus aimés, à sa mère, à sa sœur, au docteur Nacquart, à Mme Carraud. A sept heures du matin, le 2 mars 1850, le comte abbé Czarouski, une des gloires du clergé polonais, délégué par l’évêque de Jitomir, a béni en l’église Sainte-Barbe, à Berditchef, le mariage de Mme Ève de Hanska, née comtesse Rzewuska, avec Honoré de Balzac. « Cette union, écrit le romancier à Mme Carraud, est je crois la récompense que Dieu me tenait en réserve pour tant d’adversités, d’années de travail, de difficultés subies et surmontées. » Mme Ève de Balzac sera l’amie de Mme Carraud, ne la connaît-elle pas depuis longtemps, ne lui est-elle pas, elle aussi, reconnaissante de ses trésors d’amitié pour Balzac [2] ? « Aussi, ajoute Balzac, d’un même élan, d’un commun accord, vous avons-nous offert une bonne petite chambre en notre maison à Paris. » Mais, auparavant, Mme Carraud veut offrir à Balzac l’hospitalité en sa maison de Frapesle qu’elle vient de quitter pour se retirer avec le commandant à Nohan-en-Graçay (Cher), autre petit domaine des Tourangin. De Nohan partira sa dernière invitation que, par une délicatesse raffinée, elle adressera à la nouvelle Mme de Balzac.


Nohan, le 28 mai 1850.

Madame,

Je reçois à l’instant la nouvelle de votre arrivée par ma bien-aimée Sophie [3], et je m’empresse de vous souhaiter la bienvenue. Je suis heureuse de penser que vous êtes réunie à une famille dont vous aurez bien vite apprécié la valeur, et aussi, que j’ai quelque chance de vous voir. Mais ce plaisir a son épine, comme toutes les joies de ce monde, et j’apprends que vous et Honoré êtes souffrants. Permettez-moi de vous dire que l’air de Paris ne convient en ce moment à aucun de vous deux ; il vous faut le calme de la campagne. Je bénis le ciel qui, dans ma pauvreté, me laisse encore la possibilité de vous offrir mon petit cottage. Ce n’est point une maison princière, elle est en partie démeublée ; pourtant il y a deux chambres très habitables,

  1. L’hôtel de la rue Fortunée (22, rue de Balzac), aujourd’hui détruit.
  2. Correspondance, II, 446 et suiv.
  3. Sophie Surville, nièce de Balzac.