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vingiens et de longs siècles après, on bâtissait plus volontiers qu’on ne changeait de costume, et les châteaux et les enceintes des villes n’étaient pas souvent en ruines, parce que la ruine est un luxe qu’on ne peut s’offrir qu’aux époques de sécurité.

Jean-Paul Laurens a peu sacrifié à ces erreurs. Il possédait le don très rare de la « crédibilité. » Ses groupes ne ressemblent pas à des modèles mis bout à bout, grimés et travestis, des figurants de théâtre logés dans des costumes rigides comme dans les coquilles où rien ne se révèle du mollusque enfermé. Chez lui, les plis des visages et les plis des manteaux semblent des sillons depuis longtemps creusés par l’accoutumance. Et puis, il a le sens des vides, vertu très nécessaire quand on veut restituer ces époques où l’on habitait des salles immenses, avec un minimum de mobilier.

Son Interdit, — des cadavres pourrissant dans l’enclos, sur leurs civières, devant la porte condamnée de l’église, — semble une chose vue. La Mort de sainte Geneviève, au Panthéon, évoque cette grandeur fruste : les adieux d’une vieille paysanne à sa nombreuse postérité, sur la terre sauvegardée et nourricière des générations à venir. S’il y a parfois du mélodrame dans les gesticulations, les bouches ouvertes, les doigts tendus, les maxillaires contractés, les crispations et les torsions de la colère, n’oublions pas qu’à cet âge, chez ces peuples, les passions étaient mal contenues, même par les plus grands dignitaires, les personnages sacrés. Tous les témoignages concordent là-dessus. Si ces personnages même sont presque uniformément robustes et anguleux, à la façon des vieux chênes, souvenons-nous, — car c’est un de leurs principaux traits différentiels avec nous, — qu’à cette époque les faibles de constitution vivaient peu, sauf parfois dans les familles royales très entourées de soins : encore était-ce rare. La moyenne de la vie humaine était très brève. Lors donc qu’on rencontre dans un tableau de J.-P. Laurens, un personnage que l’Histoire atteste un vieillard, on peut conclure de son grand âge à sa forte constitution.

Quant aux visages, Jean-Paul Laurens avait appris à les scruter par le portrait. Ceux qu’on a réunis dans sa rétrospective lui font grand honneur, notamment celui de son père, tenant une tabatière. Qui peut le plus peut le moins, et ce n’est point pour échapper aux écueils de la caractérisation individuelle et vérifiable que ce rigoureux analyste a brossé de grandes pages d’histoire.