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revue littéraire.

Il y a des animaux qui ont le goût de la famille et de la société ; il y en a qui sont des bohèmes, des parias, des révoltés. Si le lièvre est poltron ? S’il est triste ? « Cet animal est triste et la crainte le ronge, » dit le Bonhomme. Et Louis Pergaud : « Braves oreillards, gentils capucins aux oreilles noires et blanches, au derrière mutin, aux pattes spirituelles, que d’esprit ne mettez-vous pas dans la détente de vos puissants jarrets, quand la petite queue, railleusement retroussée, découvre la touffe blanche qui a l’air, sous cette visière postérieure, d’éclater de rire au nez du poursuivant ! Que de malice, dans le rabattement silencieux de vos oreilles, quand, gités à quatre pas du chien, après un savant crochet, vous écoutez le méchant braillard renifler de colère sur les pistes qui s’enchevêtrent. Tristes et craintifs ? Allons donc !… » Les hommes ne connaissent pas les lièvres ; ils ne les ont pas regardés : « Rarement ils vous ont vus, la nuit, vous promener joyeux et cabrioler par les luzernes et les trèfles de votre festin servi, ils ne vous ont pas aperçus, aux brèches du mur de la forêt, à votre réveil vespéral, renifler le crépuscule qui descend et sonder, de vos oreilles pointées voluptueusement vers les quatre vents, le bourdonnement musical de la nuit tombante… » N’est-ce pas charmant ? Et la phrase n’a-t-elle pas la fraîcheur, l’odeur, l’inquiétude aussi de la nuit ?

Ce qui donne à tant de pages de Louis Pergaud leur attrait, je crois que c’est leur vérité. Puis, je me demande avec bonne foi ce que j’en sais, n’ayant pas ma vie au village, aux abords de la forêt. Cependant, la vérité de Louis Pergaud n’est pas douteuse : on la devine, on la sent. Louis Pergaud ne raconte pas ce qu’il a lu, mais ce qu’il a vu ; et il l’écrit comme il l’a vu. La phrase n’est pas toujours excellente : elle l’est souvent. Les moins bonnes phrases, un peu négligées, ont encore ce charme, elles sont toutes pleines de leur idée : Pergaud n’est jamais bredouille.

Il connaît à merveille les animaux. Ils les comprend, comme il est possible de les comprendre : il ne feint pas de les comprendre davantage. Il les comprend, par ce moyen, le seul que nous ayons, par le moyen de la ressemblance qu’il a trouvée entre eux et nous. Une certaine ressemblance, qui fait qu’aux mêmes signes nous devinons les mêmes sentiments.

Faute de quoi, les animaux nous sont tout à fait inintelligibles. Mais il n’y a aucune raison de ne pas admettre qu’aux mêmes signes correspondent les mêmes sentiments, aucune ! Il faut pourtant ne pas négliger les différences : faute de quoi, les animaux sont de viles