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veut-il assister, sous notre tente, à notre repas, pour lequel il nous fait porter une formidable caisse de biscuits Olibet.

Au cours de ces visites et dans cette fin de journée, j’ai recueilli quelques renseignements complémentaires qui ne sont pas sans valeur.

— Voyons, disais-je à tous, ce fameux culte secret qu’on attribue aux Ismaéliens ?

— C’est malaisé à savoir. Connaissent-ils bien, eux-mêmes, leurs théologies ? La plupart croient à la métempsycose, et plusieurs d’entre eux affirment que notre Seigneur Ali habite la lune… Ils ont un respect religieux pour la femme. Ils affirment qu’elle est d’une essence plus noble que celle de l’homme, et ils le prouvent en faisant remarquer qu’elle a l’honneur d’être la source de l’humanité. Une telle idée scandalise, dans un pays où les Nosseïris et les musulmans professent pour la femme le mépris le plus absolu, et croient qu’elle n’a pas de religion. Même les chrétiens ici traitent la femme à peu près comme font les musulmans, sauf qu’ils la laissent circuler sans voile. L’espèce de vénération que lui témoignent les Ismaéliens paraît étrange, et même impie. C’est peut-être une des raisons qui expliquent la rumeur de leur culte secret. Je crois ce que l’on raconte qu’ils portent dans leur turban, en guise d’amulette, un sachet qui contient des cheveux de femme. Mais je ne sais rien des mystères orgiaques. À ma connaissance, les Ismaéliens ont de belles qualités morales. Ils s’interdisent les liqueurs, ils fument très modérément : il y a quelques années, leur Dieu les invita à négliger le tabac, et bon nombre y renoncèrent. Ils sont généreux, intelligents et probes. Des êtres calmes, réfléchis, et d’un grand courage. Littéralement, ils méprisent la mort.

— Ce Dieu, enfin, cet Aga Khan ?

— Qu’est-ce qu’on sait ? Avant l’occupation des Indes par les Anglais, un grand personnage, riche et influent, avait accaparé beaucoup de terrains des Indiens, et après l’occupation, pour éviter tout mal pouvant provenir de sa part, les Anglais ont dû le respecter beaucoup, en lui laissant tous les terrains. Cet homme descend de la famille d’Ali. Il n’avait aucune qualité, ni emploi officiel dans les Indes. Mais chez les Ismaéliens, il a des titres, que les tribunaux anglais ont examinés, et les Anglais le soutiennent. Pourtant il y a une moitié des Ismaéliens qui n’est pas pour lui.