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modestes fleurs et de couronnes ; puis dans celle de Gabrielle Petit, cette autre héroïne, qui, conduite au supplice, lorsqu’on voulut lui bander les yeux, s’écria d’une voix vibrante : « Arrière, bourreaux ! je vais vous montrer comment une femme belge sait mourir pour son pays ! »

Mais je ne pus voir les trois cellules où fut détenu successivement Baucq : elles étaient occupées. La Belgique serait-elle oublieuse du plus magnifique de ses enfants ? Alors que le nom de miss Cavell survit dans le monde entier, celui de Baucq, par l’insouciance de ses propres compatriotes, est-il donc appelé à disparaître ? Philippe Baucq n’aura-t-il pas enfin à Bruxelles, comme miss Cavell à Londres, le monument auquel il a droit ?

C’est au Tir National, jadis envahi chaque dimanche par les joyeux cortèges de la garde civique, que les bourreaux ensanglantés par Visé, Louvain et Dinant continuaient leur œuvre de mort.

Ici tombèrent sous les balles allemandes trente-cinq héros victimes de leur attachement à la patrie.

Telle est l’épitaphe qui figure en français, en flamand et en anglais sur la grande plaque commémorative en granit, apposée à l’endroit précis où avaient lieu les assassinats. Sur cette plaque sont gravés les trente-cinq noms avec la date des exécutions ; Philippe Baucq et miss Cavell occupent les troisième et quatrième rangs du glorieux martyrologe ; condamnés à mort le 9 octobre, ils furent passés par les armes le 12 octobre 1915.

À peu de distance de la plaque se trouve un carré limité par quatre pilastres reliés par des chaînes, au milieu quatre rondelles de bronze marquent l’emplacement des quatre pieds de la chaise où étaient assises les victimes de la barbarie allemande. Derrière s’étend un parterre de tulipes, sanglantes du sang de tous les martyrs. Le monument est grandiose dans sa simplicité.

Par un sentier herbu, à travers des prairies fleuries de marguerites, de primevères et de boutons d’or et des bosquets où gazouillaient les pinsons, les loriots, les chardonnerets, je me suis dirigé vers le petit cimetière des suppliciés établi tout au fond du Tir. Après dix minutes de marche, je franchis sur des planches branlantes une tranchée et soudain, à l’orée du taillis, je suis saisi par la vision d’une multitude de petites croix de bois toutes grises, délavées par la pluie, plantées sur des tertres ver-