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— À propos, savez-vous que votre guide est arrêté ?

— Monsieur, je n’emploierai pas à votre égard le qualificatif que vous m’avez octroyé il y a quelques instants, je me bornerai à vous dire que votre affirmation est inexacte.

Pour terminer, il me signale qu’une de mes nièces a tout raconté, qu’elle a été très intelligente et qu’en présence de mon obstination à ne rien vouloir dévoiler, on me laisserait une vingtaine de jours au secret sans m’interroger.

Au cours de l’interrogatoire, le chef m’a prié de ne pas crier si fort et de retirer mes mains de mes poches, ajoutant que j’avais l’air d’oublier que j’étais l’inculpé.

Voilà le résultat de mon interrogatoire du 2 août pendant lequel, je dois l’avouer, je n’ai pas du tout été à mon aise. Cependant je suis un peu rassuré sur certains points… D’autre part, je suis inquiet, parce que je sens très bien qu’un fardeau pèse sur moi et qu’il risque fort de m’écraser…

Maintenant, précédé du soldat, je réintègre ma cellule.

Après la tension d’esprit que je venais d’avoir, une forte réaction se produisit et je me sentis las, presque défaillant, comme un homme qui vient de se lever, après s’être endormi étant ivre. La mécanique du cerveau avait été soumise à son effort maximum. Je n’en pouvais plus, la tête entre les mains, je m’accoudais sur la table, essayant de dormir. Les murailles semblaient se couvrir d’un voile léger, gris et transparent, leur teinte jaune crème s’estompait légèrement, les objets se détachaient de moins en moins nettement des fonds formés par les murs dans lesquels ils paraissaient se retirer pour finir par se confondre avec eux. Le voile de la nuit tomba, mettant fin à la féerie merveilleuse du jour. L’obscurité fut complète, ma cellule était comme inondée d’air noir, la nuit régnait en maîtresse ici-bas.

Mardi, 3 août 1915.

Il est huit heures un quart du matin, le sergent accompagné d’un soldat et précédé d’un gardien vient devant ma cellule dont on ouvre la porte et me demande « Alles gut ? »[1] ensuite, il m’annonce que je puis envoyer chaque semaine deux cartes postales. Quelle joie… quel bonheur !… Je suis plus heureux que si je venais d’apprendre que je vais hériter une grosse

  1. « Tout va bien ? »