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lu. Il m’a confié son premier ouvrage, fait à dix-sept ans, et qui me fait beaucoup espérer de son avenir. Essayez-en. Tant peu que vous le gardiez, vous me rendrez un grand service ; et si vous désespérez au bout de quelque temps d’en faire ce que vous prétendiez, séparez-vous-en sans brisure et conservez-lui votre intérêt. C’est une existence perdue que j’ai pris à tâche de refaire, et comme par moi-même je ne puis rien, j’appelle l’intervention de mes amis. Je crois faire une bonne œuvre et je compte sur votre concours. Ayez donc la bonté de lui écrire de vous venir voir, et tâchez de vous arranger. Vous savez qu’il n’a rien, absolument, et qu’il faut qu’il vive, si médiocrement que ce soit. Il faut que chaque mois apporte son petit salaire, car qui n’a rien ne peut attendre.

Je suis encore à Bourges. Chaque matin M. Périolas me promène jusqu’au déjeuner. Cher, il faut que vous veniez à Bourges pour la voir en détail ; elle en vaut la peine. Vous qui avez tant écrit sur Loïs le Onzième, n’avez pas seulement eu la curiosité de visiter la maison où il est né [1] ! Elle est occupée par une école de charité ; il s’y trouve une cheminée monumentale qui serait bien enviée des amateurs du moyen âge, si elle était connue. Il faut voir Bourges absolument ; nous y reviendrons ensemble ; vous me colorerez tout cela de votre prestigieuse imagination et je m’échaufferai à votre feu, moi qui ne suis plus rien.

Dieu sait pour combien de temps nous sommes séparés, car vous vous appartenez si peu que l’on ne peut compter sur rien. Il doit être beau d’être fêté ainsi ; si cela ne nuit en rien au bonheur ou au calme des vieux jours, vous êtes un élu sur terre. Votre visite m’a fait du bien, Honoré ; j’ai eu un moment d’épanchement, et avec vous cela n’est pas douloureux. Jetez-moi un souvenir, si vous en avez le temps, et faites des vœux pour mon courage. Cher, je n’irai jamais à Paris ; le poids s’alourdit et, au lieu de voir mes forces s’augmenter avec le temps, je me sens plus faible et partant, moins faite pour calculer et tirer parti de tout, en supportant avec adresse. J’ai le cœur trop droit, c’est presque un malheur pour moi. Heureusement, cela tournera au profit de mes fils.

  1. Marie d’Anjou accoucha du dauphin Louis, le 3 juillet 1423, vers trois heures de l’après-midi, dans une salle de l’ancien archevêché de Bourges, tendue de drap d’or de Chypre vermeil.