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parce que je n’admets pas la perfection sans les œuvres ; le ciel se gagnerait trop facilement.

Je n’ose vous dire : venez donc ! Que peut être Frapesle pour vous maintenant ? Sans rien savoir de vous, si ce n’est que vous avez fait boire du Vouvray à Auguste, je sens que nous ne sommes plus du même ciel : qu’est-ce qu’un cerveau comme le vôtre aurait à gagner auprès du commandant, qui sommeille, et de moi, absorbée par mes deux marmots ? Cher, les forces humaines sont unes. Si on les applique toutes à une seule chose, le reste languit et, — faut-il vous le dire ? je crois que vos facultés psychiques doivent rester dans un engourdissement complet. Mais, comme on ne dissipe pas, quoi qu’on fasse, des richesses comme les vôtres, j’attends le jour où le besoin de repos se fera sentir et où vous demanderez mieux à la vie que l’excitation de votre machine à penser. Frapesle brillera alors dans un coin, et vous voudrez savoir s’il s’y trouve toujours de fraîches fleurs et des cœurs ouverts. Cette fournaise dans laquelle vous vous êtes jeté et dont vous attisez soigneusement le feu, comme si vos créanciers et vos envieux étaient insuffisants à le faire, cette ardente fournaise ne vous donne-t-elle donc pas soif d’une existence calme et reposée ? N’aurez-vous jamais le désir de vous rendre compte, chaque soir, des événements, des phénomènes, internes et externes, de votre vie de chaque jour ? Vous peignez bien des jouissances, bien des situations, mais celle-là, vous n’en parlez que d’après vos rêves, et vous la décorez comme vous faites toujours ; elle mérite mieux, on peut la peindre sans ornements. J’ai remis un pied dans le monde depuis que j’ai perdu ma sœur. Sa fille est venue à Bourges et m’y a souvent attirée ; depuis le carême, elle recevait chaque jour, et je me suis retrouvée au milieu de ce parlage de salon que j’avais presque oublié ; j’ai revu les petites passions, mues par de petites choses, et dépensant une activité incroyable pour arriver à des résultats microscopiques. Chaque fois que je revenais dans ma chaumière, je jetais au ciel, à la terre, à mes gazons et à mes fleurs des regards reconnaissants. Je vais retourner encore à la préfecture du Cher, pour la dernière fois sans doute ; ma santé ne me permet plus de déplacements ; je vais faire une courte apparition à Tours et je dirai adieu ensuite aux véhicules de toute espèce. Si vous saviez avec quelle volupté je pense que rien ne pourra me sortir de mon petit enclos, d’ici à une dizaine d’années !... Si vous saviez comme