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voulut l’avoir, pour Rochefort et pour les Rochefortaises. On a ménagé cela dans la maison d’à côté. Mais on sut respecter le salon rouge, ce cher salon de la mère de Loti, que Loti conserva toujours et toujours conservera, intact, identique, soi-même…

Et Mauberger, déjà, m’explique :

— Voici ce que c’est, commandant : une délégation turque qui va venir… pour apporter au commandant je ne sais trop quoi… et comme le commandant n’est pas très bien… il a pensé à vous, pour l’aider…

(Il m’appelle « commandant ; » il appelle Loti « le commandant ; » habitude maritime : nous sommes officiers supérieurs, lui comme moi… On s’y reconnaît tout de même…)

Mais moi, dans ce salon bleu, je suis très mal à mon aise…, Il n’y a rien de Loti là-dedans… rien, strictement. Et je crois bien que c’est la seule pièce de la maison qui soit ainsi.

D’un commun accord, nous voilà donc transportés dans la petite salle à manger à papier jaune, dans la petite salle à manger des ancêtres.

Et Mauberger reprend :

— Non ! il n’est pas bien, pas bien du tout. — La guerre, ça n’avait été rien pour lui, ou pas grand chose… Il pouvait se battre, vous comprenez… Il servait ! il travaillait, il était utile..- et puis, il savait bien qu’on la gagnerait, la guerre. Alors il s’est maintenu, il a duré ; même il se portait bien, merveilleusement ! mais la paix ! mais le traité de Versailles ! mais le traité de Sèvres ! le traité de Sèvres, surtout ! ce tas de bêtises et ce tas d’injustices empilés l’un sur l’autre ! Sous Louis XV, la France avait été assez riche pour ne rien marchander, pour préférer l’honneur à l’argent ; mais de nos jours, elle a sacrifié l’argent avec l’honneur, tout ensemble ; et, victorieuse, elle s’est laissé ruiner, tout en laissant les forts opprimer les faibles ! En Orient, notamment, — vous y avez été, vous savez ça mieux que moi, — l’intérêt turc et l’intérêt français, c’est la même chose ; l’intérêt grec et l’intérêt anglais, c’est tout un… et voilà que nous avons lâché la Turquie pour la Grèce, autant dire que nous nous sommes lâchés nous-mêmes pour servir les Anglais.

Je proteste, timidement :

— Ç’a été vrai, oui ! mais ce n’est plus vrai : nous nous sommes repris…

Mauberger me regarde :