Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 16.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que d’atteindre en eux la politique de leurs patries : l’Angleterre et la Belgique. Ce but avait été assigné aux juges par le féroce gouverneur militaire de Bruxelles : le général von Sauberzweig. Il fallait coûte que coûte y parvenir dans les délais les plus rapides.

Pendant la dernière quinzaine de septembre 1915, toute la population de Bruxelles est tenue en haleine par le bruit d’une grande offensive alliée à l’Ouest. Les rumeurs les plus extraordinaires bourdonnent dans l’air et les nouvelles les plus invraisemblables sont accueillies sans contrôle. Dans tous les territoires occupés, un grand silence s’est fait. On attend et on espère avec ferveur.

Les envahisseurs sont eux aussi tout oreilles au bruit formidable de la bataille dont les échos viennent mourir sur le sol belge et ils sont aussi tout yeux aux trains bondés de troupes qui affluent sans cesse vers le front et qui croisent en route d’interminables convois chargés de morts et de blessés. A mesure que croît l’espérance des Belges et des Français, une nervosité, qui se manifeste par une sourde irritation, s’empare de tous les Allemands et surtout des grands chefs. Ils lisent sur les visages des Belges l’illusion, — hélas ! ce n’était encore qu’une illusion, — d’une proche libération. Et cette joie, ils la ressentent comme un mortel outrage.

Le général von Sauberzweig, qui vient d’être nommé gouverneur militaire de Bruxelles, décide de couper court aux épanchements de la population. Il faut que l’on fasse un exemple, que la police et la justice interviennent. N’est-il pas soutenu ouvertement par le sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, M. Zimmermann, qui lui a dévolu pleins pouvoirs pour entreprendre toute action susceptible « d’effrayer tous ceux qui, arguant des privilèges de leur sexe, ou de leur situation, participent à des entreprises passibles de la peine de mort ? »

Qu’a-t-il donc à redouter du gouverneur général von Bissing, personnage veule, pantin sans ressort, qui se laisse dominer par tous les partisans de la manière forte et qui n’a qu’une marotte : ne pas être tourné en ridicule par ses compatriotes ? Le vieux général, qui a été en butte à un jeu de mots offensants n’a plus qu’une idée : se réhabiliter aux yeux des plus féroces pangermanistes, et, lui aussi, prête une oreille complaisante aux projets de répression de son adjoint Sauberzweig.