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Je m’arrête. Quelques lecteurs s’étonneraient que je tire déjà des conclusions de mes petits voyages et les jugeraient prématurées. Mais puis-je empêcher mon esprit d’être agi par ce que je vois ? Au reste nous continuons nos expériences. Je vais poursuivre demain mon enquête, par la vallée de l’Oronte, la Cilicie et l’Asie Mineure, pour la terminer enfin sur la tombe du poète persan à Konia.


XVI. — VERS ANTIOCHE

C’était une affaire, en 1914, de s’en aller de Beyrouth à Constantinople par terre. La voie de fer demeurait inachevée entre Alep, Antioche et Alexandrette, et, pour traverser le Taurus, on m’avertissait que j’aurais à me procurer des voitures. Interminables pourparlers, longues journées de route, séjour dans des auberges pénibles : ces ennuis deviennent le plus charmant plaisir, si l’on peut les partager avec un compagnon bien choisi. Aussi je me félicite d’avoir trouvé à Saïda, sur le lieu même des fouilles de M. Renan, qu’il continue, un savant archéologue, le docteur Contenau, à qui mon itinéraire a convenu et qui m’a dit : « J’en suis. » Et voilà comment l’un et l’autre, en parfaite communion d’idées, un beau matin, par une divine chaleur, nous quittons Beyrouth, nos amis et tant de belles images, bien faites pour être pleurées, en nous décidant avec allégresse à leur préférer celles que nous allons recueillir.

À plusieurs stations du Liban, des groupes viennent nous saluer. Tous ces amis demandent qu’on les appuie, et toujours cette sollicitation : « Des écoles, des écoles ! » J’ai encore dans l’oreille l’accent douloureux de ce jeune homme qui, me prenant à part, me dit :

— Vous partez ? Déjà ! Qu’êtes-vous donc venu faire chez nous ?

— Mais, admirer votre pays, votre histoire, votre amitié.

— Cela seulement, admirer ?

Quel reproche dans cet « admirer ! » Ce qu’ils attendent de la France, c’est une aide efficace. Ils veulent, après nos prêtres, nos soldats ; après leur instruction, leur délivrance. Le regard passionné de ce jeune homme et la sincérité de sa déception m’ont donné un instant l’idée que j’étais dans mon tort. Les Libanais sont des amoureux du parler français. De