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LA PIERRE NOIRE D’ÉMÈSE

Le temple du Soleil aurait eu fort bon air dans la petite île, au centre du lac de Homs, que nous longeons, net, propre, couleur d’une opale très claire, et agrémenté sur son rivage d’un petit village tout sec, en terre battue. Un horizon monotone, immense, sans un vallonnement, avec çà et là des Tells artificiels, corps de garde, défenses de jadis, seuls témoins des civilisations qui se heurtèrent ici, dix siècles avant Jésus-Christ… Oui, le culte du Soleil eût été superbement placé dans cette île, comme le temple d’Isis que j’ai vu à Philae, dans le Nil, ou le temple d’Eléphantine.

Mais, au jugement de Contenau, le plus vraisemblable est que le temple de la pierre noire occupait dans Emèse remplacement de la mosquée actuelle de Homs. Celle-ci a succédé à la cathédrale chrétienne ; on y trouve un puits surmonté d’une coupole qui repose sur six colonnes antiques ; et les chrétiens précédemment avaient dû désaffecter le sanctuaire des païens. Perpétuelle transfiguration du visage divin. La mosquée d’Allah recouvre la sainte maison du Christ, qui s’est elle-même construite sur le temple du Soleil.

Quel lieu excitant pour l’imagination ! Je réclame qu’un poète savant écrive l’histoire des grands prêtres héréditaires d’Emèse. Une famille incomparable, à la fois sacerdotale et royale, dont les femmes, merveilleusement belles et intelligentes, hissèrent sur le trône l’enfant insensé Héliogabale, et qui, pour finir, s’épanouit dans le génie mystérieux du philosophe Jamblique ! Un tel livre, je n’en imagine pas de plus beau, si l’auteur ne s’attarde pas en détails sensuels, et s’il va, au centre de toutes ces extravagances, jusqu’à l’esprit qui animait ces adorateurs du bétyle, jusqu’à la vérité ineffable qui reposait dans la pierre noire, messagère du ciel,


Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur.


Je voudrais pouvoir dire comme Damascius :.« J’ai vu le bétyle volant dans le ciel. » J’envie le marquis de Vogüé d’en avoir découvert un à Oumm-el-Djemail. J’admire leur image sur les monnaies de Byblos et de Paphos. Quel fut le dernier jour de la pierre de Possinunte, dite la Mère, que l’on avait