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ont donné au bout du mois des petits paquets tout ficelés où ils étaient payés à raison de six piastres. Rumeur, révolte. Ils ont jeté leurs ouvriers dans le fleuve ! Puis devant le mauvais effet de ces brutalités qu’elle nie, la compagnie a versé douze mille francs aux parents des morts. Un Italien me dit : « Compagnia francesca, benôdetta ; compagnia tedesca, maladetta. »

Les Allemands confessent qu’ils ne savent pas plaire. L’un d’eux disait à notre consul : « Vous savez éveiller la sympathie. Vous avez ça naturellement. Nous ne pouvons pas. Nous ne savons pas nous rendre agréables. Mais nous avons nos moyens. » L’esprit de système, la ténacité. Beaucoup de ces ingénieurs allemands se font commis-voyageurs, s’en vont dans les magasins proposer, imposer des marchandises allemandes. À l’hôtel, ils ont exigé que tout fût allemand.

— Bah ! me dit un Syrien. Ils font un tape à l’œil formidable avec des gares, des constructions, mais le ballast ne vaut rien.

Mon aimable interlocuteur donne à ce fait une valeur de symbole. Il croit que la sympathie pour la France est quelque chose sur quoi on peut construire plus solidement que sur le prestige allemand.

— Pour vos écoles, n’ayez pas d’inquiétude… C’est plus avantageux, au moment de la construction du pont, de savoir l’allemand. Mais le chemin de fer construit, il y aura quelques employés allemands dans les gares, et ce sera fini. Et puis leur langue est trop difficile.

Sans doute ! Mais ces Syriens, doués à faire peur pour ce qui est de la souplesse et du brillant de l’esprit, sont terriblement soumis devant la force. Pendant des siècles, ils ont été courbés, ils ont vécu par la ruse ; il leur faudra du temps pour se relever, et les Allemands font d’immenses progrès à Alep.


L’EUPHRATE

À l’hôtel, où, tard dans la nuit, j’ai été éclairé et assourdi par les reflets et les refrains d’un brillant café-concert à la française, ce matin, réveil joyeux : la journée sera d’un intérêt exceptionnel.

— Aujourd’hui, Contenau, nous allons à Djerablous.