Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 16.djvu/774

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en 1867 et publiées pour la première fois en 1878. Elles sont très en avance sur l’époque et contrastent avec les débats confus du Congrès de Tucuman en 1816, qui se tint pourtant trois ans après.

La fin de ce grand homme longtemps calomnié fut d’une désolante tristesse : dans une lutte sans merci contre la troisième invasion portugaise, il fut trahi par ses lieutenants plutôt que vaincu et se réfugia au Paraguay pour y vivre dans l’obscurité et la misère sous la domination soupçonneuse du tyran Francia. Il mourut après trente années de cet exil volontaire, à quatre-vingt-six ans... Il repose au Panthéon de sa capitale ; ses statues s’élèvent dans toutes les villes importantes, mais le plus beau monument qui ait été consacré à sa mémoire, c’est l’Épopée d’Artigas, de Juan Zorilla de San Martin, historien, orateur et poète, ouvrage solidement construit à l’aide de documents et de faits, qu’éclaire la chaude lumière d’une émouvante éloquence.

Dans l’après-midi du 2 octobre, je suis convié par le Président de la République à passer la revue des troupes. Le chef de l’Etat me reçoit d’abord dans sa tribune, où il me fait présent d’un sabre magnifique, fabriqué dans l’arsenal de Montevideo et qui porte sur sa lame : « L’Armée de la République orientale au général Charles Mangin. »

Il me demande de prendre le commandement, « pour être le premier général étranger auquel obéiront les troupes uruguayennes, me dit-il. C’est un hommage rendu à l’armée française dont vous êtes le digne représentant. » Je remercie brièvement de cet honneur et je monte à cheval pour saluer le Président et passer au pas devant la ligne, qui s’étend sur la Rambla Wilson, magnifique boulevard maritime. Le général da Costa, chef d’état-major général, m’accompagne.

Voici d’abord les marins : la compagnie de débarquement du Jules Michelet, l’école navale, le bataillon de la marine. Puis les Écoles militaires et la compagnie d’élite, qui portent leur tenue de 1830, haut pantalon blanc à pont, habit court, shako ; puis trois brigades d’infanterie, un régiment du génie, trois régiments d’artillerie. Enfin le fameux régiment des blandengues d’Artigas, et deux autres régiments de cavalerie. Composées de soldats de métier dont les plus âgés ont été récemment mis à la retraite, les troupes ont bonne mine ; les