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bêtes s’éloignent sans une excuse, il nous faut procéder au sauvetage de notre véhicule.

Brusquement, au lieu de gravir les montagnes qui nous masquent le rivage, et derrière lesquelles repose Alexandrette, nous tournons à angle droit sur la gauche, pour courir le long des hauteurs vers Antioche.

Le pays prend les airs aimables de la Fable. Un chêne vert, isolé au-dessus d’un étang, fait un enchantement, et un gamin, qui nage en battant l’eau avec ses pieds, semble un triton. C’est vraiment un délicieux plaisir, par une matinée de juin, de traverser ce paysage nouveau, plein d’oiseaux chantants, et qui porte un grand nom familier. À notre gauche, l’horizon sur le lac est tout d’azur et d’argent. Notre route est semée de sources qui coulent en fontaines, forment des abreuvoirs, s’épandent en ruisseaux. Nous allons droit sur une large chaîne de montagnes, qui s’abaisse à droite et peu à peu laisse voir une ligne blanche escaladant sa hauteur. Cela ressemble à un dessin de fortification. Cela ressemble…

— Cocher, là-bas, dans le fond, contre ces hautes montagnes, au point où elles s’abaissent, ce groupe d’arbres et de maisons, et, plus au large, ces murs escaladant la hauteur, qu’est-ce donc ?

— Antakiyé.

— La vieille Antioche ! C’est d’ici que les Croisés l’aperçurent. Comme elle est belle, émouvante, et que nous la désirons ! Je savais bien que je l’allais voir, et pourtant sa vue m’étonne, me saisit, me surprend. Comme elle ressemble à ses portraits ! Une étroite oasis contre la montagne, et ses fortifications grimpant la côte, courant sur les cimes. Je suis impatient d’y pénétrer, et pourtant je me réjouis d’avoir une heure encore de route pour bien me préparer à y être heureux.


MAURICE BARRÈS.