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s’étaient formé une conscience commune et se reconnaissaient pour les fils spirituels du Christ. Personne y peut-il passer sans un remerciement à ceux qui nous ont ainsi marqués ? Sous leurs tombeaux recouverts par l’Islam, qu’ils entendent la gratitude d’un pèlerin d’Occident.


MUSIQUE DU MATIN

Au lendemain de cette journée d’initiation, ce matin, dans ma cellule blanche, dont les fenêtres, demi voilées par des vignes, donnent sur les petites cours intérieures, j’entends un bourdonnement d’écoliers qui récitent leurs leçons, et puis un long gémissement, un ruissellement : c’est la roue de la noria qui soulève l’eau de l’Oronte, et c’est le religieux français qui instruit les enfants d’Antioche. Dieu ! que je suis loin de tout, et quelle intensité d’âme dans cette solitude ! Je m’enivre de mes images de la veille.

Elles sont charmantes les villes de l’Oronte, mais Antioche par-dessus toutes. Homs, Hama, quand elles nous plaisent le plus, n’ont pour nous que des regards muets d’étrangères sous le voile. Elles nous laissent passer, sans que leurs yeux brillants, au-dessus de leurs bouches invisibles, accueillent notre sympathie. Ah ! nous sommes loin d’y recevoir aucune promesse de bonheur ! Ces filles aimables ne révisent pas l’inimitié de leurs pères pour le chrétien. Les deux Syriennes voilées m’attirent, l’une et l’autre mystérieuses, Homs plus sèche, Hama plus aimable avec ses nuits incomparables, mais Antioche la Chrétienne, moins strictement voilée que ses sœurs, laisse voir, en plus du regard saisissant qu’elles ont toutes, de la douceur, un sourire tendre. L’Oronte n’arrive pas à mouiller Homs, à peine un coin de Hama, mais Antioche est fraîche, humaine, baignée, aérée, et pour un peu j’inventerais qu’elle respire au milieu d’herbages verts. Ses rues sont étroites, ses maisons pauvres, pressées de pierrailles, de décombres ; sa vaste enceinte, terrifiante ; sa haute montagne jette une ombre lugubre ; on y manque de sécurité : pourtant sa grâce est la plus forte. Des ruelles tortueuses, la pénombre de ses bazars, ses mosquées et leurs minarets ne m’empêchent pas de songer au poème du Tasse, à notre Chanson d’Antioche, et, sous les vergers de l’Oronte, brille le sourire de Clorinde et des dames de chez nous qui accompagnaient les Croisés. La couleur arabe