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monde spirituel danseront sur la terre entière, le visage tourné vers Konia. Il en résultera un tel plaisir que ceux qui sont morts à la passion s’y dirigeront, et que nos pensées et nos mystères entoureront l’univers. » Eh bien ! sans attendre la fin du monde, je suis venu vous interroger sur ces mystères. Me permettez-vous quelques questions ? Je voudrais me faire une idée claire de Djelal-eddin. Quel but un si noble esprit poursuivait-il en instituant les danses ?

— C’est lui-même qui a écrit : « Si je vais à Balk, le populaire est assez exemplaire, mais à Konia il est adonné à la musique et aux divers jeux. Pour le conduire à connaître Dieu, je suis obligé d’accepter dans la religion la musique, la danse et la poésie. » Et dans un autre passage : « Il y a plusieurs chemins ; moi, j’ai choisi ce chemin pour conduire l’homme à Dieu. »

— Alors, il a adopté cette habitude de tourner, mais il ne l’a pas inventée ?

— Le tourner, ce que nous appelons le Sima, le concert spirituel, existait avant la fondation de l’Islam. Cela vient du Turkestan. C’est un usage qui existait universellement à Konia. Djelal-eddin n’est pas le fondateur de cet exercice, mais il l’a admis, bien que son père peut-être, dans le principe, y ait vu des objections. En effet, son père Beha-eddin, qui venait de Balk, avait hésité à se fixer à Konia parce que c’était une ville de musique. Il fallut que le sultan d’alors lui dit : « Si le cheikh veut faire à Konia le séjour de ses enfants, moi, de toute ma vie, je n’écouterai plus le son des chansons et des harpes. » Par la suite, Djelal-eddin, devenu professeur à la mort de son père, s’est révélé musicien et poète. Il a ajouté cinq cordes à la viole, qui jusqu’alors n’en avait que trois. Il passait ses jours en musique et en poésie, et sous l’influence de Chems-eddin qui est alors arrivé et qui ne s’occupait que de la prière, il a enseigné la gnose par la voie gracieuse du concert spirituel.

— Ah ! je vois, Chems-eddin est le maître de Djelal-eddin.

— Erreur ! Chems-eddin était ignorant. Mais il avait une inspiration naturelle et, dans certaines circonstances, il brillait par son esprit. C’est à propos de lui qu’on peut dire : « Nul savoir n’égale en intensité un atome d’amour mystique tourné vers le véritable Maître du pouvoir. » Il était tout à fait ignorant