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et la danse commence à leur plaire. À voir danser les autres, on s’y met. C’est un entraînement. Il y en a qui dansent en ne pensant qu’à bien tenir leurs pieds ; d’autres sont enthousiasmés, et tournoyent mieux que de plus jeunes. C’est une question d’inspiration.

— Voulez-vous me faire connaître le sens le plus profond de la danse ?

— Les derviches s’appellent Salqis, celui qui va, qui marche vers la divinité. Il y a trois degrés dans cette ascension et pour parvenir à cette lucidité : on peut savoir par la science ; on peut savoir par les yeux (après avoir vu), et enfin on peut voir tout ensemble par les yeux et par la science. Ainsi, sans avoir vu Bagdad, nous savons que Bagdad existe ; puis il arrive que nous sommes allés à Bagdad, et que nous voyons cette ville avec nos yeux ; et enfin, une fois à Bagdad, nous étudions son étendue, sa population, ses produits, ses jardins, tout l’ensemble, et c’est là savoir par les yeux et par la science.

— C’est très bien, monsieur le Supérieur, mais un peu magistral pour un simple pèlerin. Laissez-moi vous exprimer d’une manière plus vulgaire ma curiosité. Demain, j’assisterai au concert. Que dois-je y comprendre ? Qu’est-ce que les derviches signifieront ? Qu’est-ce qu’ils éprouveront ? Et moi, par exemple, si j’entrais dans la danse, qu’est-ce que vous me laissez espérer que j’en ressentirais ?

— Djelal-eddin pensait qu’il y a plusieurs chemins pour arriver à Dieu, mais que le plus court chemin est la danse.

— Puis-je croire qu’il y avait quelque chose de tout cela chez les Grecs, dans les écoles de Plotin à Alexandrie, et dans leurs mystères sacrés ?

— Le Coran a pris naissance dans une ville du Hedjaz où la civilisation n’était pas avancée. Quand les Mahométans sont venus à Damas, en Perse, ils ont commencé d’étudier les philosophes, tous les livres grecs. La grammaire et le cosmos, ils les ont pris des Grecs. Pour définir la religion musulmane et en faire comprendre la solidité, deux philosophies ont été fondées, une qui concerne les choses de la vie pratique, et l’autre qui concerne la prière. Cette dernière, le souffisme, d’où sortent les derviches, nous l’avons prise des Grecs. C’est pourquoi nous leur avons donné beaucoup de liberté. Nous n’avons rien pris ni des Anglais ni des Français, mais c’est vrai que