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Et quelle peut-être l’importance de l’école dans un tel ordre social ? Visitez les communes : ici ce sont des forçats libérés, des vagabonds, des aventuriers qui s’érigent en instituteurs ; là, ce sont des instituteurs affamés qui quittent la chaire pour la charrue, et n’enseignent que lorsqu’ils n’ont rien de mieux à faire ; presque partout les enfants sont entassés dans des salles humides, malsaines, et même dans des écuries, où ils profitent pendant l’hiver de la chaleur que leur communique le bétail. Il est des communes où le maître d’école fait sa classe dans une salle qui lui sert à la fois de cuisine, de salle à manger et de chambre à coucher. Quand les fils du pauvre reçoivent une éducation, telle est celle qu’ils reçoivent : ce sont les plus favorisés ceux-là. Et ces détails, encore une fois, ce sont des rapports officiels qui les donnent. À quoi songent donc les publicistes qui prétendent qu’il faut instruire le peuple, que sans cela rien n’est possible en fait d’améliorations, que c’est par là qu’il faut commencer ? La réponse est bien simple : Quand le pauvre, est appelé à se décider entre l’école et la fabrique, son choix ne saurait être un instant douteux. La fabrique a, pour obtenir la préférence, un moyen décisif : dans l’école on instruit l’enfant, mais dans la fabrique on le paie. Donc, sous le régime de la concurrence, après avoir pris les fils du pauvre à quelques pas de leur berceau, on étouffe leur intelligence en même temps qu’on déprave leur cœur, en même temps qu’on détruit leur corps. Triple impiété ! Triple homicide !

Encore un peu de patience, lecteur ! je touche au terme de cette démonstration lamentable. S’il est un fait incontestable, c’est que l’accroissement de la population est beaucoup plus rapide dans la classe pauvre que dans la classe riche. D’après la statistique de la civilisation européenne, les naissances, à Paris, ne sont que de 1/32e de la population dans les quartiers les plus aisés ; dans les autres, elles s’élèvent à 1/26e. Cette disproportion est un fait général, et M. de Sismondi, dans son ouvrage sur l’économie politique, l’a très bien expliqué en l’attribuant à l’impossibilité où les journaliers se trouvent d’espérer et de prévoir. Celui-là seul peut mesurer le nombre de ses enfants à la quotité de son revenu, qui se sent maître du lendemain ; mais quiconque vit au jour le jour subit le joug d’une fatalité mystérieuse à laquelle il dévoue sa race, parce qu’il y a été dévoué lui-même. Les hospices sont là d’ailleurs, menaçant la société d’une véritable inondation de mendiants. Quel moyen d’échapper à un tel fléau ? Encore si les pestes étaient plus fréquentes ! ou si la paix durait moins longtemps ! car, dans l’ordre social actuel, la destruction dispense des autres remèdes ! Mais les guerres tendent à devenir de plus en plus rares ; le choléra se fait désirer. Que devenir ? Et, après un temps donné, que ferons-nous de nos pauvres ? Il est clair cependant que toute société où la quantité des subsistances croît moins vite que le nombre des hommes, est une société penchée