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DE L’HUMANITÉ,
DE SON PRINCIPE ET DE SON AVENIR,

Par Pierre LEROUX.


§1.


La philosophie est le suprême effort, le plus noble emploi de l’esprit humain. Avec ce faible fil, la pensée, il faut que la philosophie se guide dans l’infini et se l’attire. Notre raison, elle la consacre à la fois aux plus hautes choses de la science et de la conscience, aux plus grands enseignements de la morale et de la vérité. Ce qu’il faut savoir, ce qu’on doit faire, aimer et penser, croire, deviner presque, à l'aspect de l’humanité et du monde ; l’intelligence du savant, la conviction du fidèle, l’imagination même et le regard divin du poète : ce n’est pas trop pour la philosophie ; elle est tout l’homme, elle est tout l’univers.

Sans doute on doit trouver admirable que l’esprit humain se soit donné le moyen des sciences exactes ; mais une fois muni de cet instrument, il l’applique avec certitude. Belle et grande chose, certes, que le compas du géomètre puisse mesurer l’espace universel, et que les mondes arrivent exactement au lieu du ciel, et à l’instant même où l’œil de l’astronome leur a donné rendez-vous !

Mais enfin, la science est sûre d’elle-même dans ses limites mathématiques. La science s’arrête au côté tangible et mesurable de l’univers. Si quelquefois elle le dépasse, c’est bien plutôt pour constater des phénomènes que pour les expliquer, pour poser des hypothèses que pour entreprendre des solutions. Dès qu’elle se risque hors des effets dans la sphère des causes, toute science arrive à sa philosophie. Si, par le lien et l’espèce de sympathie qui régnent entre toutes nos facultés, le savant vient à passer du monde réel aux confins du monde moral, des choses de la connaissance exacte à celle de l’intuition et de la croyance pure, ce n’est pas là son objet, son affaire. Le savant alors étend hors de son domaine la portée de ses travaux, jusqu’au point culminant où toutes