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Page:Revue générale de l'architecture et des travaux publics, V1, 1840.djvu/25

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PONT SUR LE JAMES-RIVER, A RICHMOND, EN VIRGINIE ;

Par M. Honcure Robinson.

M. Ithiel Town, de New-Haven, architecte à New-York, a imaginé de construire des ponts en posant sur des piles, fort espacées ordinairement, des treillis verticaux formés de pièces de bois fort légères. Ces treillis, placés l’un à droite, l’autre à gauche, constituent les parois du pont, et supportent le plancher. Ils sont composés de planches ou moises de 10 à 12 pouces anglais[1] (25 ½ à 30 ½ cent.) de large, sur 3 à 3 ½ pouces (7 ½ à 8 ¾ cent.) d’épaisseur, disposées parallèlement les unes aux autres, suivant deux directions inclinées à peu près de 45° à l’horizon, et se croisant à peu près à angle droit. Cependant les angles placés sur la diagonale verticale du losange compris entre quatre moises adjacentes, sont un peu aigus. Ainsi, cette diagonale ayant 3 pieds de long, par exemple, la diagonale horizontale n’aura que 2 pieds ¾,. L’espacement des moises est tel que cette diagonale varie ordinairement de 2 pieds 9 pouces à 3 pieds (84 à 91 cent.). Le bas du treillis est renforcé de chaque côté par un entrait ou cordon (chord) fait également de pièces d’un petit calibre, c’est-à-dire de 12 pouces sur 3 (30 ½ cent, sur 7 ½), et régnant d’un bout à l’autre de la charpente, mais aussi longues que possible, de 10 à 12 m., par exemple. Chacun des cours des pièces formant l’entrait, au lieu d’être simple, est de deux jumelles de l’équarrissage qui vient d’être indiqué. L’entrait est donc, sur toute la longueur du treillis, de quatre pièces, accouplées deux à deux, dont deux à droite et deux à gauche du treillis, et, de chaque côté du treillis, il a 6 pouces d’épaisseur. Les joints de ces pièces sont également répartis sur toute la longueur du pont. Un cordon exactement semblable à l’entrait se développe pareillement sur toute la longueur du pont, au sommet du treillis. Sur l’entrait sont étendues transversalement des poutrelles horizontales ou traverses qui soutiennent le tablier du pont. Le cordon supérieur, dans les premiers ponts en treillis, portait la toiture.

Les moises du treillis sont réunies à leurs croisements par des chevilles rondes[2] de chêne de premier choix, de 1 pouce 3/4 (4 ½ cent.) de diamètre, taillées avec soin au moyen d’un mandrin ou emporte-pièce. Ces chevilles entrent dans des trous préalablement ménagés à la tarière et très-régulièrement espacés.

Il convient que les chevilles, une fois mises en place de force, y soient raffermies au moyen de picots ou petites aiguilles de bois qu’on chasse au centre de leurs deux extrémités. L’on ne prend cependant cette précaution que sur les ponts les mieux établis.

Il y a deux chevilles placées verticalement, au-dessus l’une de l’autre, à chaque croisement des moises constituant le treillis, et quatre aux croisements du treillis avec l’entrait et avec le cordon.

Entre les moises du treillis, et entre le treillis et l’entrait ou le cordon, il n’y a pas d’autre assemblage que celui qui résulte de ces chevilles. Toutes ces pièces sont trop minces pont qu’il soit possible de les entailler afin de les réunir les unes aux autres.

Il n’entre pas de fer dans ce pont, si ce n’est quelques clous et quelques petites chevilles placés soit aux joints des pièces formant l’entrait et le cordon, soit aux points de croisement des pièces qui contre-ventent ou contre-fichent la charpente.

Tel est le pont de M. Town, en termes généraux, et dans sa conception première ; nous verrons tout à l’heure les modifications et additions faites au plan primitif de M. Town, par lui-même ou par d’autres ingénieurs.

On conçoit qu’avec ce système de charpente on peut placer le tablier du pont à la partie supérieure aussi bien qu’à la partie inférieure du treillis. En le laissant à la partie inférieure, on a l’avantage de pouvoir, à peu de frais, compléter la toiture et les bordages latéraux. L’autre disposition permet de multiplier dans l’intérieur de la charpente les contre-fiches, étais et contre-vents, et d’empêcher ainsi le pont de se déjeter : elle est généralement préférée aujourd’hui pour les chemins de fer.

Ces ponts en treillis sont doués d’une grande inflexibilité. Tels qu’ils sont construits dans l’Amérique du Nord, c’est-à-dire avec une médiocre quantité de ferrures, les ponts de bois à grands arceaux, appelés aux États-Unis ponts de Burr, du nom d’un charpentier qui les a perfectionnés, ont une élasticité telle, que les convois de chemins de fer, par exemple, ne peuvent les traverser qu’avec une extrême lenteur. Sur les ponts en treillis bien établis, et notamment sur tous ceux qu’a construits M. Robinson, les locomotives conservent sans inconvénient leur plus grande vitesse. Cette considération leur assure la supériorité pour les chemins de fer.

La hauteur du treillis règle la solidité du pont, et augmente nécessairement avec la longueur des travées. Pour des travaux considérables, de 60 mètres, par exemple, on donne au treillis 5m. à 5m.50 de haut. En général, M. Town pense que la hauteur du treillis doit être du dixième ou du douzième de la portée des travées. Lorsque le tablier repose sur l’entrait, l’élévation des chariots ne permet pas de donner au treillis moins de 4m. à 4m.30. On a construit quelques-uns de ces ponts avec des travées de 220 pieds (67 mètres).

Dans toute charpente de pont, les deux lignes qui devraient offrir la plus grande résistance sont dirigées, l’une, suivant la ligne droite horizontale menée par l’extrémité inférieure de la charpente ; l’autre, suivant une courbe arquée qui s’appuie par ses deux extrémités sur cette ligne droite. Le pont en treillis présente en effet une grande solidité à sa base par l’entrait composé de quatre pièces accouplées deux à deux ; mais il est moins solide tout le long de la courbe supérieure décrite par la ligne idéale de plus grande compression. Plus le treillis est élevé, et plus le cordon supérieur, qui renforce la charpente, diffère de cette ligne idéale. Aussi l’on a remarqué que les ponts en treillis à grandes travées étaient sujets à gauchir ; et une fois déjetés, ils perdent beaucoup de leur stabilité.

M. Town a imaginé divers moyens de parer à cet inconvénient. Pour accroître la résistance du treillis, on peut le faire double de chaque côté du pont ; c’est ce que M. Town a essayé, en écartant cependant les pièces qui le composent de sorte que la diagonale horizontale du losange compris entre quatre moises

  1. Les pieds et les pouces dont il est question dans cette description du pont de Richmond, sont toujours des pieds et des pouces anglais.
  2. On fait ces chevilles rondes en chassant à coups de marteau des chevilles carrées dans un mandrin en fer de même longueur que la cheville, acéré à son extrémité et fixé verticalement sur un établi horizontal.