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Page:Revue générale de l'architecture et des travaux publics, V1, 1840.djvu/34

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en bon bitume élastique. Ce procédé a été exécuté avec succès en Angleterre dans la rue de Liverpool, nommée Church-street, par la société des bitumes élastiques.

Polonceau,
Insp. Div. des Ponts-et-Chaussées.
(La suite au prochain numéro.)


NOTICE

SUR LES CONSTRUCTIONS EN BRIQUES CRUES DANS LE MIDI DE LA RUSSIE.

Depuis des siècles les diverses peuplades du midi de la Russie exécutent en terre des constructions d’une très-grande solidité, et qui coûtent fort peu. Ces constructions résistent à des automnes très-humides, à des froids de 25 à 28° Réaumur, qui durent des mois entiers, et sont quelquefois alternés de dégels. Elles supportent de lourdes toitures, et même des poids énormes. J’ai construit, dans ma propriété près d’Odessa, sur un soubassement de cette espèce, un moulin à quatre étages et à trois paires de meules. Ce soubassement, qui n’a qu’un mètre d’épaisseur sur trois mètres de hauteur, dure ainsi depuis vingt ans, sans que l’énorme charge qu’il supporte l’ait en rien ébranlé. Une maison d’habitation et une vaste bergerie, que j’avais construites de cette manière, dans la même propriété, ont été brûlées sans que les murs de ces édifices en aient éprouvé la moindre détérioration, et je n’ai eu qu’à reposer les charpentes, les boiseries et la toiture, pour les remettre en état. Les maisons bâties de cette matière sont sèches, chaudes en hiver, fraîches en été, et très-saines. Lorsque les murs ont quelques années d’existence, leur cohésion est telle, qu’on peut y percer des portes et des fenêtres sans établir de supports pour la plate-bande supérieure.

De la Préparation de la Terre. — Toutes les terres, excepté celles qui seraient par trop sablonneuses, peuvent être employées pour ce genre de construction ; cependant celles qui contiennent une forte proportion d’argile sont préférables. Il serait facile de prouver que, depuis un temps immémorial, ce genre de construction est usité dans toute l’Asie.

Voici comment on l’exécute : pour éviter les transports, on choisit, près du lieu où l’on veut bâtir, un endroit où la terre ait les qualités convenables ; on enlève sur un espace circulaire de 5 à 6 mètres de diamètre la couche de terre végétale jusqu’à un pied de profondeur environ ; ensuite on bêche le fond de ce trou à un bon fer de bêche de profondeur ; on y jette une quantité d’eau suffisante pour convertir cette terre en une boue très-épaisse ; alors on fait entrer dans ce trou un cheval, un bœuf ou une vache, et on l’y fait tourner et piétiner jusqu’à ce que la terre soit bien corroyée, et qu’elle ait absorbé l’eau ; ensuite on y jette une substance végétale quelconque ; par exemple, de la vieille paille, du vieux foin, des herbes, des gazons, des feuilles, des algues, des roseaux, des joncs, n’importe quoi ; mais évidemment ce qu’on aura à sa portée et de moindre valeur. On fait de nouveau piétiner cette substance en y ajoutant de l’eau, jusqu’à ce qu’elle soit absorbée par la terre, et que le tout soit bien également massive dans toutes ses parties ; alors on laisse reposer le mélange.

La quantité de matières végétales qu’il faut mêler à la terre dépend évidemment et de la qualité de la terre et de celle de la matière végétale. Ces matières relient la terre, lui donnent du corps, et empêchent les briques qu’on en fait de se casser en séchant. On connaîtra donc bientôt, par la dessiccation des briques, s’il faut ajouter au mélange des matières végétales, ou si on peut en retrancher.

Le lendemain l’eau est absorbée, le mélange a notablement séché ; on ajoute de l’eau, et on fait piétiner de nouveau, jusqu’à ce qu’elle soit absorbée ; puis on laisse encore reposer. Il faut ordinairement recommencer le même travail le troisième jour.

On reconnaît que cette matière est suffisamment corroyée, lorsqu’il s’en dégage une légère odeur de pourriture, qui indique un commencement de décomposition des matières végétales. Lorsque la température est très-chaude, quelquefois le mélange est prêt dès le premier jour ; mais on peut préparer plusieurs trous à la fois, si la construction est vaste, et si le travail doit être continu.

De la Fabrication des Briques. — On prend des moules qui ont la dimension qu’on veut donner aux briques. Ces moules sont sans fond et ordinairement faits pour deux briques. On choisit un terrain uni, on pose le moule sur le terrain, on le remplit de la matière corroyée, on la tasse fortement, on enlève le moule, et la brique reste sur le terrain, où elle sèche. On en forme deux autres à côté, et ainsi de suite. Lorsque toute la terre corroyée est moulée, on donne un second fer de bêche au fond du même trou, et on recommence le corroyage.

On retourne les briques deux ou trois fois, jusqu’à ce qu’elles soient suffisamment sèches ; alors on peut, ou les employer de suite, ou les mettre en piles, pour s’en servir lorsqu’on voudra construire. En piles, ces briques résisteront pendant des années aux intempéries de l’atmosphère.

Lorsqu’on veut bâtir, on emploie pour mortier de la terre prise dans les mêmes trous et corroyée de la même manière ; mais on peut alors se dispenser d’y mettre des matières végétales.

Du Recrépissaoe et du Plafonnage. — Pour les recrépissages intérieurs et les plafonds des maisons d’habitation, on emploie le même mortier ; mais alors on y mélange des balles de céréales, ou du crottin de cheval ou de mouton, ou encore des bouses de vache, et même des fumiers très-consommés et des terreaux, mais en petite quantité. Ils servent à donner de la cohésion à la composition. Si la terre employée est très-argileuse, il faut y mélanger des terres sablonneuses ou du sable. Les expériences locales indiqueront bientôt les proportions. Les recrépissages et les plafonds ainsi faits sont aussi beaux et plus solides que ceux en mortier de chaux ou en plâtre. On peut les faire très-minces.

Les recrépissages extérieurs tiennent moins bien ; les pluies les mouillent et les détachent. Il en tombe beaucoup en automne et au printemps ; les murs n’en sont point altérés, mais c’est désagréable à l’œil. En général, pour l’extérieur, il est mieux de ne pas faire de recrépissage, mais de bien mouiller la surface du mur, de jeter dans ses interstices des mortiers comme ceux pour les recrépissages intérieurs, mais aussi peu que possible, et seulement pour affleurer la surface des briques. Il faut ensuite égaliser le tout en frottant circulairement la surface du mur avec une légère planche de 0m.50 de côté environ, à laquelle une cheville sert de manche (voyez la Fig. 10).