Page:Revue générale de l'architecture et des travaux publics, V4, 1843.djvu/152

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contredit, d’un meilleur effet qu’en rase campagne. On n’eût pas eu le scandale de voir l’entrée d’un des principaux cimetières de la capitale convertie pendant plusieurs mois en décharge publique de décombres, et d’entendre les jurons des charretiers se mêler aux sanglots des funérailles.

Comment, du reste, pourra-t-on asseoir solidement les fondations des tombeaux futurs sur ces remblais de 6 à 8 mètres d’épaisseur ? Si les accidents de terrain offusquent à ce point messieurs les directeurs des cimetières, ils auront fort à faire dans celui qui nous occupe : que ne font-ils alors un nivellement général à grand renfort de déblais et de remblais ?

On a fait depuis peu, dans le cimetière Montmartre, de nombreux mouvements de terrain, qu’il eût été convenable d’exécuter plus tôt. C’est ainsi que, pour régler les pentes de plusieurs des allées principales, on a déchaussé de 1 mètre au moins l’une des lignes de tombeaux en bordure, tandis qu’on a enfoui proportionnellement la ligne du côté opposé. Cependant ces allées ont été tracées et plantées d’arbres d’une belle venue, il y a douze ou quinze ans. Si alors on eût réglé convenablement les pentes, on ne donnerait pas aujourd’hui aux familles propriétaires des sépulcres limitrophes la douleur de voir ainsi bouleverser leurs monuments ; il en est, du reste, toujours ainsi chez nous : on ajoute des travaux les uns aux autres avant d’avoir arrêté d’avance un projet d’ensemble.

Laissera-t-on à la charge des familles les frais d’exhaussement ou de reprise en sous-œuvre de ces tombeaux ? Mais ce serait une grande injustice ; ou bien (ce qui serait plus équitable), l’administration les prendra-t-elle à son compte ? En ce cas, nous craignons qu’on ne crie au gaspillage, et qu’on ne lui fasse ainsi subir la peine de son imprévoyance d’autrefois.

Qu’on laisse aux familles le droit de donner à leurs tombeaux telles formes qui leur conviendront ; mais pour les obliger à suivre des alignements et des niveaux, il faut que ces alignements soient fixés d’avance.

La surface accidentée de ce cimetière a nécessité, en beaucoup d’endroits, la construction de murs de soutènement pour la retenue des terres à l’arrière des tombeaux placés au pied des talus. Ces murs sont mis à la charge des acquéreurs. Cette imposition de frais supplémentaires nous semble un peu arbitraire ; car ces murs sont faits pour soutenir des terres qui n’appartiennent pas aux propriétaires des concessions adossées, et il est évident que l’administration ou les acquéreurs futurs des terrains supérieurs ont autant d’intérêt que les premiers à ce que les terres soient soutenues ; il serait donc plus équitable que les frais fussent partagés. Mais puisque cet usage est passé en droit, il faudrait au moins que les constructeurs fussent assujettis à suivre des règles fixes, tant pour la hauteur et l’épaisseur de ces murs, que pour la nature des matériaux à employer ; et comme ces murs ne règnent pas sur toute la hauteur des talus, il faudrait que le surplus fût dressé grosso-modo et planté de quelques arbustes, au lieu de rester décharné et boursoufflé comme on peut le voir en maints endroits. Ces deux choses sont nécessaires, afin que la nécropole n’ait pas l’aspect d’une ville en reconstruction après un tremblement de terre.

Ces escarpements sont, selon nous, la plus magnifique position qu’il y ait dans le cimetière, tant sous le rapport pittoresque que sous celui de l’inviolabilité, notamment celui du mamelon dont le tombeau de Nourrit couronne la crête. Pourquoi donc un si petit nombre de familles osent-elles y placer leur dernière demeure ? Ce n’est certes pas à cause du surcroît de dépense occasionné par l’emplacement lui-même ; mais n’est-on pas repoussé par l’aspect bouleversé de ces arrachements de terrain ? Il n’y a réellement que les hommes de l’art qui puissent sentir d’avance le parti qu’on en peut tirer. Si ces terrains restent inoccupés, c’est parce qu’on ne les a pas disposés convenablement en faisant aux extrémités de chaque talus une amorce du profil projeté.

Nous avons parlé de l’escarpement sur la crête duquel s’élève le tombeau d’A. Nourrit. Quelques familles se sont hasardées à placer leurs sépultures sur cette ligne. On y arrive de plain-pied du côté du Sud-Est ; mais du côté opposé, elles sont érigées au sommet d’une haute muraille, élevée elle-même sur la partie supérieure de l’escarpement, comme l’acropole d’une antique cité. Quelques-uns de ces caveaux, à l’extrémité Nord-Est, sont tellement déchaussés, que deux des murs de fondation sont tout à fait hors de terre et ne pourront jamais être rechaussés, a moins de faire un rapport de terres sur le talus, dont la hauteur perpendiculaire est de 7 à 8 mètres, ce qui n’est pas chose facile. À l’extrémité opposée d’une autre ligne, une nouvelle disposition de l’escarpement a occasionné une coupe de terrain telle, que les tombeaux situés sur les bords de la plate-forme et dont l’entrée est tournée du côté du vallon, n’ont plus d’autre accès que le couronnement d’un mur de 0m 40 de large sur le bord d’un précipice de 3 à 4 mètres de profondeur. Comment pourrait-on, sans danger, transporter des cercueils sur un passage aussi périlleux ? On nous a assuré, et nous avons peine à le croire, qu’il était interdit de faire placer un appui en fer ou en toute autre matière sur le haut du mur. Comment les parents, les femmes surtout, oseront-ils franchir ce passage pour entrer dans les oratoires funèbres ? Il faudra nécessairement en murer les portes et en percer d’autres à l’extrémité opposée, du côté du plateau. Mais les familles ont choisi cette exposition ; la direction du cimetière les a laissées faire : l’accès était alors facile, mais la direction a changé les dispositions : serait-il juste que les familles fissent de nouveaux frais pour pouvoir entrer dans leurs tombeaux ? Tous ces murs de soutènement sont sans alignement, ressautent les uns sur les autres, sont faits de toutes sortes de matériaux, et n’ont que peu de liaison entre eux.

Nous proposerons, à la fin de ce mémoire, quelques arrangements qui, nous le croyons, permettraient de tirer un meilleur parti des escarpements.

La superficie de ce cimetière est d’environ 15 hectares.


Cimetière de l’Est ou du Père-Lachaise.


Nous voici arrivé au cimetière par excellence, fondé sur l’emplacement de la maison des champs du fameux confesseur de Louis XIV.

Sa porte, d’un caractère simple, annonce assez bien l’entrée d’une nécropole. Les allées principales, restes, pour la plupart, du jardin de la villa du père Lachaise, sont spacieuses et assez propres pendant la belle saison, mais plusieurs sont impraticables l’hiver. On aperçoit encore, vers la droite de la première avenue, de vieilles masures, tristes lambeaux de la maison du fondateur, qu’on devrait bien faire disparaître.

Une partie de ce cimetière, comme dans celui du Nord, est