Page:Revue générale de l'architecture et des travaux publics, V4, 1843.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dire, mais elles éprouvent un gonflement considérable. Lorsque la surface d’une masse d’argile est lubrifiée par un filet d’eau, elle devient très-glissante, et, pour peu que cette surface soit inclinée, les terres ou autres objets qui s’y trouvent placés glissent avec une extrême facilité. On a vu bien des fois des superficies de terrain considérables glisser ainsi en emportant les maisons, les arbres, etc., qui s’y trouvaient. Il y a quelques années, une partie énorme d’une montagne, près Salins, glissa sur un plan incliné d’une assez faible pente. Le glissement des terres qui reposent sur un lit argileux est un des inconvénients les plus redoutables qu’on rencontre dans les tranchées des chemins de fer. On a éprouvé des accidents de ce genre au chemin de fer de Paris à Corbeil ; une masse de terre d’une centaine de mètres d’étendue coula sur un plan assez peu incliné (environ 15 degrés).

Supposons un instant (et le cas est assez probable dans le cimetière qui nous occupe) que les eaux du plateau se soient accumulées dans une suite d’excavations sépulcrales disposées parallèlement à la pente, ainsi que sont celles qui bordent les allées supérieures ; ces eaux peuvent s’infiltrer petit à petit dans des crevasses inclinées vers le bas de la pente, suivant h a, Fig. 1, Pl. 9, par exemple. La surface du plan incliné h a se trouvant lubrifiée par l’eau, le prisme de terre a b f i h glisserait avec facilité. Quel mur alors pourrait lui opposer une résistance suffisante ?

Tout ce que nous venons d’exposer explique l’énorme poussée des terres du coteau, à laquelle peu de constructions ont pu jusqu’ici résister. Un autre sujet de faiblesse dans ces murs de terrasse, est leur isolement par fractions. Comme on n’est assujetti à aucune règle, et que chacun construit son mur vis-à-vis de soi, à ses risques et périls, on se garde bien de se lier avec ses voisins ; il semble qu’on craigne d’être entraîné par leur chute, ou qu’on ne se soucie pas de leur prêter assistance. Les lignes de démarcation entre chaque portion de mur sont tellement tranchées, que dans beaucoup d’endroits il semble qu’on ait passé un trait de scie à chaque section de mur. Cette solution de continuité est et sera toujours fatale à ces murs, déjà trop faibles pour se soutenir quand même ils auraient entre eux une liaison parfaite.

Puisqu’on met à la charge des familles les frais de premier établissement des murs de terrasse, on devrait les obliger à les construire d’après un profil donné et avec des matériaux désignés d’avance ; on obtiendrait ainsi la solidité et l’uniformité nécessaires, et l’on n’aurait pas à recommencer ces constructions tous les huit ou dix ans, et plus souvent encore[1] ; mais alors il nous semble juste, nous dirons même indispensable, que l’entretien soit à la charge de l’administration ; car, quand une famille sera éteinte ou que ses membres survivants ne voudront ou ne pourront pas reconstruire les murs écroulés, laissera-t-on la brèche perpétuellement ouverte, ou bien s’emparera-t-on du terrain occupé par le tombeau et concédé à perpétuité ? En expulsera-t-on les cercueils, et vendra-t-on l’emplacement pour subvenir aux frais de reconstruction du mur de terrasse ? S’il y avait un règlement pour la construction de ces murailles, on ne verrait pas cette bigarrure désagréable de murs de toute forme et de toute hauteur, les uns à plomb, les autres en talus plus ou moins prononcé ; ceux-ci, d’une structure plus rationnelle que gracieuse, forment une courbe concave ou convexe en plan ; ceux-là une ligne brisée ; d’autres enfin ont été bardés de fer, en désespoir de cause ; mais aucun peut-être, si ce n’est celui qui forme l’enceinte du tombeau de Gouvion-Saint-Cyr, ne nous semble en état de résister pendant de longues années à la poussée des terres. Le tombeau du général est disposé en hémicycle et entaillé dans la base du coteau, à l’instar des théâtres grecs. On a eu la bonne idée de l’entourer d’une ceinture de lilas, sur laquelle il se détache agréablement.

Qu’on examine avec attention cette belle ligne de tombeaux, on en trouvera fort peu qui ne portent des traces de poussée. Le magnifique cénotaphe de Kellermann, adossé aux terres, a déjà subi le sort commun, malgré son épaisseur de 1m 60 en pierre de taille, plus, le massif en moellons qui est derrière. Si l’on n’y prend garde, dans dix à douze ans peut-être il faudra le reconstruire, car il porte des marques de poussée à ses extrémités et au milieu.

N’est-ce pas aussi à l’action des eaux qu’on doit l’aspect décharné de cette même berge de l’avenue des acacias, sur laquelle elles ne laissent pas séjourner la terre végétale ? Aussi ces dernières demeures des hommes, au lieu de se détacher sur un fond de végétation verdoyante qui produirait un effet agréable à l’œil, se confondent-elles avec la surface aride du banc de marne déchiré.

Si l’infiltration et le séjour des eaux sont, comme nous le croyons, la cause des désastreux éboulements qui ont porté de temps en temps la désolation dans les familles, dont une cendre chère se trouve dispersée par les éléments ; si, comme cela n’est pas douteux, la poussée extraordinaire des terres contre les murs de soutènement est due également aux eaux dont elles se saturent et qui les gonflent ; si même, dans les cas beaucoup plus nombreux où elles n’occasionnent que l’inondation des sépultures, les conséquences sont toujours les mêmes, c’est-à-dire dommage et douleur pour les familles, reproche d’incurie pour l’administration[2], celle-ci ne doit-elle pas prendre l’initiative, et rechercher avec empressement tous les moyens propres à remédier à ces graves inconvénients, et faire exécuter ceux qui lui semblent convenables pour atteindre ce but, sans occasionner des dépenses exorbitantes[3] ?

  1. Nous avons vu en février 1842, dans la partie dite Lunette Saint-Laurent, un mur de soutènement construit depuis quelques mois et déjà écroulé, prés le tombeau de la famille Aubry. Cela n’est pas étonnant : il n’avait que 60 centimètres d’épaisseur pour une hauteur de plus de 3 mètres, et il devait soutenir des terres jectisses nouvellement déposées.
  2. Nous connaissons, entre autres, le tombeau d’une famille qui, quoique établi à grands frais et soumis depuis à de dispendieux travaux d’étanchement, est constamment rempli d’eau jusqu’au tiers de sa hauteur. On a été obligé de remonter dans les cases supérieures les cercueils submergés ; et de six étages de cases sur trois rangs qu’avait ce caveau, il ne lui en reste plus que quatre. Et sur dix-huit places de cercueils, il n’en reste plus que douze qui ne soient pas inondées.
  3. Des personnes ayant fait des études sur la nature des terrains du cimetière de l’Est, nous ont dit qu’il y avait intermittence dans la direction des eaux, qui tantôt paraissent sur un point, tantôt sur un autre.

    Nous concevons très-bien cette alternative de dessiccation et de saturation ; mais ces deux états différents doivent avoir lieu alternativement sur tous les points à la fois. S’il en est ainsi, on ne peut alors leur attribuer l’intermittence de la filtration des eaux sur les divers points du périmètre du plateau. Ne pourrait-on plutôt attribuer ce phénomène de l’intermittence aux excavations qu’on fait tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, et qui peuvent changer le régime des eaux en leur procurant de nouvelles issues ?

    Le système que nous combattons ne serait admissible que dans le cas où il faudrait à la glaise plus d’une année pour se dessécher, et une seule saison pluvieuse pour se saturer ; ainsi la partie par où l’écoulement des eaux a eu lieu cette année sera saturée et les crevasses seront fermées par le gonflement dans un seul hiver, et comme les eaux de l’hiver suivant ne pourront y trouver passage, elles s’échapperont par les assures d’autres parties non saturées, pour revenir, un an ou deux après, passer par la partie saturée cette année, et qui se sera desséchée pendant l’intervalle.