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REVUE PÉDAGOGIQUE.

veut point de ces vagues effets et de ces illusions que produit le lointain[1]. » Cependant, en y réfléchissant bien, l’on s’aperçoit que le grand historien est fort en avance sur son temps, et que la maturité n’existe ni dans les idées ni dans les institutions. Malgré toutes les misères qu’elle a déjà traversées, la société grecque en est encore à l’âge charmant de l’adolescence. La littérature elle-même nous en offre la preuve. Hérodote est un conteur curieux et plein d’attrait, mais sans critique.

La comédie d’Aristophane nous présente le tableau d’une corruption naïve qui est plutôt celle de l’enfance, et qui ressemble bien peu à la corruption raffinée des sociétés vieillies ; le lyrisme dont elle est mêlée nous étonne, et ce n’est que par un effort d’imagination, en nous replaçant à l’époque même du poëte, que nous pouvons le comprendre. Xénophon, dans son extrême vieillesse, s’amuse à raconter une histoire de conquérant qui semble écrite pour le premier âge. Socrate se plaît au milieu de la jeunesse, et les interlocuteurs que Platon lui donne dans ses dialogues sont d’aimables éphèbes : c’est que la philosophie ne se croit nullement tenue à l’austère gravité qu’elle a contractée plus tard. Ces deux grands esprits passent avec la plus grande facilité des idées métaphysiques sublimes aux allégories et aux légendes enfantines, comme les Athéniens passaient des discussions du Pnyx aux processions des Panathénées et aux folies des Dionysiaques.

Ce peuple a certainement mené une vie plus simple et plus riante que la nôtre ; en un mot il était plus jeune que nous. Notre société jouit des avantages acquis par la

  1. J. Girard, Essai sur Thucydide. Introd. p. 18 et 19.