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REVUE PÉDAGOGIQUE

toujours appartenir à la couronne, mais il ne voulait pas que la couronne usât légèrement de ses prérogatives, il répugnait à l’idée de la lutte : politique de centre droit qui trouvait peu de faveur auprès des amis du prince de Polignac. Dans les questions littéraires, il se sentait parfois moins à l’aise. Son cœur, comme son goût, était du côté des classiques. Quand il revenait du Théâtre Français, il se drapait à la romaine dans les couvertures de son lit et se redonnait à lui-même le spectacle des grandes scènes qu’il venait d’entendre interpréter par Talma. Il lui était difficile de passer de plain-pied dans le camp du romantisme, de sacrifier de gaieté de cour Cinna ou Britannicus à Hernani. Cependant son royalisme peut-être, par-dessus tout, sans aucun doute, une admiration sincère pour la poésie des Orientales, avait fini par l’amener à Victor Hugo, et dès qu’il fut converti, suivant la règle ordinaire de ses sentiments, il demeura fidèle. Mais, dans l’ardeur de leurs passions, les défenseurs aveugles du pouvoir souffraient impatiemment que Victor Hugo parût mettre son con cours à trop haut prix. « Eh ! que M. Hugo s’en aille, si cela lui convient, s’écria un jour l’un d’eux, nous garderons M. du Chazet. » « M. du Chazet, ajoute M. de Falloux, était un vieillard spirituel dont les petites pièces et les chansons royalistes étaient fort goûtées : je le connaissais personnellement et j’étais sensible a sa bonté pour moi. Néanmoins ce nom, soudainement opposé à Victor Hugo, me causa un soubresaut et une sorte de pressenti ment douloureux. » Quelques mois après le trône s’écroulait.

En fermant brusquement devant lui les horizons de l’avenir, la Révolution de 1830 ne l’avait pas laissé sans espérance. Le premier moment de trouble passé, il entreprit une série de voyages à travers l’Europe, d’Édimbourg à Vienne, de Rome à Moscou. Rendre hommage à la famille royale exilée, juger par lui-même de ce qu’on pouvait attendre du duc de Bordeaux, était son premier objet. À Prague, où il se rend d’abord, il traverse la ville sans rien regarder : il ne voit que le Hradschin où la maison de France reçoit l’hospitalité. C’est un pèlerinage. C’est en même temps une sorte d’apprentissage diplomatique. M. de Falloux avait été choisi pour faire partie de l’école des jeunes attachés d’ambassade que le prince de Polignac avait fondée près de son ministère. Condamné par les événements à se promener en touriste, il ne néglige aucun