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REVUE PÉDAGOGIQUE

de son âme, irrité par les interruptions, enflammé par les applaudissements et comme enivré lui-même par la magnificence de sa parole, il franchissait toutes les bornes, frappait ses amis en même temps que ses adversaires, se livrait ; et, plus d’une fois sans doute, alors qu’il regagnait son banc au milieu d’une assemblée frémissante, il dut se demander si son triomphe avait servi sa cause autant qu’il l’honorait. M. de Falioux se présentait, les yeux à demi-clos, impassible, dans une sorte de recueillement. Sa voix harmonieuse et douce de la douceur angevine, son geste élégant et sobre pacifiaient les esprits. Également préparé à se réserver ou à tout dire, aucun incident ne troublait son sang-froid : se redressant sous le coup d’une interpellation injurieuse, il la repoussait avec une hauteur qui coupait court à la réplique ; en face du péril, allant jusqu’au bout de sa pensée, il la gravait dans une formule tranchante : certaines de ses réponses sont entrées dans l’histoire, et c’est à l’histoire aussi qu’appartiennent les actes d’énergie dont il soutenait ses résolutions. Mais, jusque dans les emportements qu’il se permet, on sent le calme d’un esprit qui se possède. Il ramenait, il réglait, il sauvait les discussions. C’était un tacticien consommé. Ainsi le vit-on, dans le débat de l’article de la Constitution sur la liberté de l’enseignement, opérer une savante retraite et dégager son compagnon d’armes dont la fou gueuse intempérance avait failli tout perdre. Cette force contenue, qui dès l’abord avait assuré son autorité dans l’Assemblée, lui donnait dans les délibérations plus intimes un ascendant sans égal. « Qui n’a pas vu M. de Falloux discuter autour d’une table, disait M. de Tocqueville, ne sait pas ce qu’est la puissance d’un homme. » Au témoignage de ceux qui l’ont suivi de près, il savait admirablement écouter : son tour venu, il reprenait les arguments, les analysait, les pressait, insinuant, caressant, passant par toutes les portes sans en forcer aucune, très sensible au bien joué et semblant parfois se laisser battre, puis rentrant dans ses positions par un détour inattendu, tenant ceux qui croyaient le tenir et leur faisant sentir la pointe pénétrante de sa parole, mais sachant se contenter d’un demi-succès et satisfait d’avoir préparé le lendemain : avec cela, nul souci de lui-même, aucune préoccupation de vanité personnelle, n’ayant jamais en vue, dans les petites choses comme dans les grandes, que l’idée qu’il défendait : M. de