Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1888.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des signes. Naturellement les enfants qui arrivent à l’école ne savent pas le français, et les maîtres qui les reçoivent, et qui souvent ne savent pas le breton, se trouvent aussi embarrassés pour se mettre en communication avec eux que s’ils avaient affaire à des Chinois.

Cependant, pour se conformer aux règlements scolaires, on leur met un livre entre les mains dès leur arrivée à l’école et on les fait épeler. Comme ils sont tenaces, ils finissent par assembler des lettres et par savoir lire ; mais ils lisent le français comme jadis encore on lisait du latin dans nos écoles, sans y rien comprendre. On leur apprend à écrire ; mais ils copient des caractères qui, comme ceux de leur livre, n’ont pour eux aucune signification et n’expriment aucune idée. On les fait calculer ; cependant ici, comme les chiffres représentent des choses qu’ils connaissent, les résultats sont plus satisfaisants. Enfin, par une application mal entendue des prescriptions administratives, on essaie de leur donner des notions d’histoire, de géographie, d’instruction morale et civique, de sciences physiques et naturelles, parce que toutes ces matières sont dans les programmes ; mais ils font de tout cela comme ils font de la lecture et de l’écriture, c’est-à-dire qu’ils copient et récitent des choses qu’ils ne comprennent pas ou ne comprennent guère. Après quelques années pourtant, à force d’entendre parler le maître qui doit toujours donner ses explications en français, grâce aussi à leur contact avec des camarades plus avancés, ils ont appris un peu de français, mais par le dehors pour ainsi dire et par des voies indirectes, sans méthode aucune. Il en résulte qu’ils l’oublient bientôt quand ils ont quitté l’école. La langue française n’a laissé dans leur esprit aucune trace profonde ; la civilisation qu’elle porte avec elle les a à peine effleurés ; ils ne sont nullement assimilés. Le service militaire, aujourd’hui obligatoire pour tous, ravivera pour les hommes ces premiers éléments d’instruction et les rendra plus durables en les complétant ; mais pour les femmes, ce sera tout : elles ne connaîtront ni ne comprendront jamais que le breton. Or, ce sont les mères de famille qui apprennent à parler aux enfants et qui leur donnent la première éducation ; en sorte que « nous sommes au rouet », comme dirait Montaigne, et que c’est toujours à recommencer.

N’est-il pas vrai pourtant que cette impossibilité où se trouve