Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1888.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
72
REVUE PÉDAGOGIQUE

qu’il y a de meilleur en lui. Les partis qui se succédaient au pouvoir avec une rapidité désespérante eussent voulu que, pour leur être fidèle, il refusât de leur survivre. Mais la France existait toujours pour lui, après la ruine des partis. Son patriotisme, aux jours d’épreuve, sut être éloquent et courageux. La France avait été la fée qui l’avait doué, qui l’avait couronné tant qu’elle put décerner des couronnes. Quand elle n’eut plus à distribuer à ceux qui l’aimaient que des signes de deuil, About se voua à une tristesse dont il ne voulut pas être consolé. Il prit en suspicion jusqu’à son talent, qui aurait pu le distraire. Le fin lettré d’autrefois devint un lutteur des luttes journalières. Il s’aigrit, méconnut quelquefois ses amis, irrita ses ennemis.

» La colère, messieurs, même la plus juste, est mauvaise conseillère. Ce qu’il a de pire dans la condition du vaincu, c’est que sa situation le condamne à se tromper. Il devient exigeant, soupçonneux, susceptible. Si About se laisse quelquefois égarer par les faux jugements de cette sorte, il en fut surtout victime. Ah ! grande dureté de notre temps ! les adversaires se déchirent, se méprisent. À voir combien ils sont sévères les uns pour les autres, on les croirait vertueux, et pourtant, si un vrai sentiment moral inspirait leurs attaques, ils seraient indulgents. Oh ! quand verrons-nous élever un temple au pardon réciproque et à l’oubli. À vrai dire, je crains que le temple de mes rêves ne soit le cimetière, La paix, qui ailleurs n’est qu’une chimère, ici seulement devient une réalité. Bientôt, je crois, nous dirons avec l’Ecclésiaste : Heureux les morts !

» Notre confrère n’eût pas même cette récompense qu’ont d’ordinaire les vieux lutteurs, d’assister tranquilles, sur la fin de leur vie, aux batailles des autres. Au moment où il allait prendre possession du fauteuil où vos suffrages l’appelaient, la mort est venue le prendre. Nous n’avons pas eu la joie de le voir siéger parmi nous. Telle est l’âpreté qu’a prise de nos jours la bataille de la vie, qu’on ne relève plus ses morts. Grâce à vous, messieurs, grâce au talent de l’artiste dont l’ouvre vient de vous être révélée, l’avenir saluera en ce lieu l’image vraie d’un des hommes qui de nos jours ont le plus ajouté à cette masse de raison qui, faible encore, s’augmente de siècle en siècle par l’effort de toutes les grandes âmes et de tous les bons esprits. Derrière les nuages qui s’amoncellent, il y a encore un ciel bleu et de chauds rayons. Quand l’heure de l’impartialité sera venue, bien des adversaires reconnaîtront qu’ils ont travaillé sans le savoir à la même ouvre. Tous alors proclameront qu’About fut un de ceux qui ont le plus aimé, à une heure critique s’il en fut, le progrès et la liberté. »

Cours de morale théorique et pratique, par G. Compayré ; Paris, librairie classique Paul Delaplane, in-12, 1887. — On sait avec quel cœur M. Gabriel Compayré s’est attaché à toutes les questions d’ordre législatif ou pédagogique qui intéressent l’enseignement