Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1892.djvu/110

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Passons sur les fameux conseils relatifs au nouveau-né, à propos desquels Buffon remarquait : « Oui, nous avons dit tout cela, mais M. Rousseau seul le commande et se fait obéir ». Émile sera emmené aux champs, chez sa nourrice, et son précepteur l’y suivra, car « l’éducation de l’homme commence à sa naissance ; avant de parler, avant que d’entendre, il s’instruit déjà ».

Le dressage d’Émile commence par le choix dans les objets qu’on lui montre pour éviter les terreurs vaines, celles que suscitent les animaux laids, les masques, les bruits. On étudiera et déchiffrera la langue de ses vagissements, de ses gestes et de ses pleurs ; puis on dirigera ses premières articulations de manière à le douer d’un débit net et mâle, comme celui des enfants du village que Rousseau entend sous sa fenêtre, en écrivant ce précepte. On prendra bien soin surtout que « les mots qu’elles expriment ne se rapportent qu’à des objets sensibles qu’on puisse d’abord montrer à l’enfant ». C’est déjà la leçon de choses, qui empêche de se payer de mots, sinon « l’écolier écoute en classe le verbiage de son régent, comme il écoutait au maillot le babil de sa nourrice ». Émile a appris « à parler, à manger, à marcher, à peu près dans le même temps. C’est ici proprement la première époque de la vie. »

Dans le second livre, Rousseau considère le second état de l’enfance. Il s’agit d’amener Émile « à travers le pays des sensations jusqu’aux confias de la raison puérile ».

Mais que de problèmes ardus sur la route, et que d’éloquence ou de sophismes employés à les résoudre ou à les tourner ! C’est d’abord un plaidoyer pour la liberté de l’enfant, qui amène Rousseau à traiter de celle de l’homme, le secret de l’une et de l’autre étant de se passer le plus possible des autres : « Ces considérations sont importantes, s’écrie-t-il, et servent à résoudre toutes les contra dictions du système social ». En attendant, elles ont pour conséquence immédiate, dans l’éducation, de maintenir l’enfant « dans la seule dépendance des choses », et de lui éviter la dépendance des hommes, source de tous les vices », car « c’est par elle que le maître et l’esclave se dépravent mutuellement ». Ainsi, « vous aurez suivi l’ordre de la nature dans le progrès de l’éducation ». Émile ne fera donc rien « par obéissance », mais par nécessité. Contrairement à la grande maxime de Locke, on ne raisonnera pas encore avec lui, et l’on attendra sagement « l’avènement de la raison, qui est la dernière à se