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UNE EXPÉRIENCE D’EXTERNAT

III. J’aime bien cette liberté qu’on nous accorde, bien que mes études aient eu peut-être à en souffrir. Je suis entré 12e à l’école normale ; j’étais très faible alors.

Je me suis mis assidûment au travail, et mes efforts furent couronnés de succès ! j’arrivai 1er sur vingt-quatre à la fin du 1er trimestre. Je continuai de travailler pendant le 2e trimestre et je ne changeai pas de place. Je travaillai de moins en moins pendant la 2e année, je me relâchai si bien au commencement de la 3e année que je me suis laissé distancer considérablement par mes camarades. Pourquoi me suis-je relâché ? je ne sais pas trop, ou plutôt je le sens bien mais je ne puis le dire aussi bien que je le sens. C’est un peu, je crois, un sot et vain orgueil qui me fit délaisser l’étude : j’avais la mémoire assez heureuse et je me reposai un peu trop sur elle pendant quelque temps. Étant libre, l’exemple de quelques camarades aidant, je commençai à fréquenter un peu le monde. Mille petites choses qui m’étaient indifférentes d’abord, eurent dans la suite un véritable attrait pour moi, si bien que je délaissai mon premier penchant, l’étude. Je suis revenu aujourd’hui de mon erreur, je me suis remis au travail me promettant à moi-même de réparer le mal que je m’étais fait. Pareilles choses seraient-elles arrivées avec le régime de l’internat ? Non pour sûr, ou tout au moins j’aurais eu quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent de ne pas trébucher dans le monde.

Il ne faudrait pas cependant te tenir pour victorieux parce que mon exemple vient appuyer ta thèse ; car nous ne sommes que le petit nombre ceux qui nous nous sommes rebutés du travail, le plus grand nombre a continué de travailler comme en première année, sans qu’une grande liberté ait pu lui nuire. Je suis persuadé qu’avec le régime actuel l’étude a plus d’attrait qu’elle n’en aurait eu avec le régime de l’internat, et, partant, les résultats en sont plus avantageux. Chose étrange, autant que j’ai pu le remarquer, on prend plus de plaisir en général, pendant l’enfance surtout, à faire telle chose défendue, plutôt que telle autre libre. Je faisais mes délices à l’âge de dix ans d’aller dénicher les oiseaux, de courir pieds nus dans la neige, d’aller à la nage, parce que mes parents me le défendaient, tandis qu’il me prenait envie quelquefois de me refuser de faire deux kilomètres de marche, parce que mes parents me l’ordonnaient. Avec l’âge se développent la raison et le jugement, on revient de son erreur, on se méfie un peu des effets d’une trop grande liberté, on tâche de la tourner au bien, mais on ne l’on aime que davantage. Néanmoins je ne sais pourquoi, aujourd’hui, j’ai de l’attrait pour n’importe quelle science quand je suis libre, et que je choisis telle ou telle autre ; j’en ai beaucoup moins, et même pour celles pour qui j’ai du penchant, quand il me faut apprendre tel chapitre donné par le professeur. D’ailleurs les études avec l’internat seraient-elles plus fructueuses, que je voudrais toujours de l’externat. C’est ma dignité que j’aime par dessus tout, et je sens qu’on la respecte avec le régime