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ARSÈNE DARMESTETER

Quand je serais capable de dire ici tout ce que nous perdons en lui, toutes les qualités qui le faisaient aimer, les mérites scientifiques de premier ordre qui viennent d’être loués si dignement, la douleur d’une séparation si terriblement rapide m’en ôterait la force.

Et cependant, lorsque je puis attester, moi aussi, qu’il fut partout égal à lui-même, qu’il déploya dans des tâches bien différentes la même supériorité morale et intellectuelle, je me reprocherais de garder le silence.

J’en appelle à celles qui l’écoutaient il y a quelques jours à peine, et que je vois en ce moment consternées de sa perte : virent-elles jamais chez aucun de leurs maîtres des connaissances plus profondes et plus étendues, un enseignement plus substantiel, plus exact et plus élevé, une patience et un dévouement plus infatigables ? Quel exemple pouvait mieux leur apprendre non seulement comment on professe la science, mais encore comment on la pousse en avant, dans toutes les directions, comment on l’enrichit de nouveaux faits et de nouvelles idées ?

Jamais collègue n’eut un caractère plus doux, ne fut d’un commerce plus facile et plus sûr, ne montra dans plus de mérite plus de simplicité : et que dire de cette modestie tranquille et souriante, dont tous ceux à qui il fut donné de le connaître étaient frappés, qui laissait presque oublier son savoir !

Bien que sa santé, depuis quelque temps, fût chancelante, nous n’avons pas vu l’inquiétude obscurcir un instant les lumières de cet excellent esprit attaché, hélas ! à un corps trop délicat : l’aimable égalité de son humeur n’en fut jamais altérée.

Nous ne pouvions, cher Darmesteter, vous croire sérieusement menacé, et déjà vous nous étiez enlevé. Mais votre souvenir ne périra pas, et certes votre famille ne sera pas seule à le conserver avec une pieuse fierté ; car il vivra dans la reconnaissance de tous ceux qui aiment les lettres et les études par qui elles sont éclairées, nourries et fortifiées. Il vivra, comme votre enseignement, dans cette école qui s’honorera toujours de vous avoir compté parmi ses maîtres et à qui vous avez donné une part si précieuse de votre vie si courte et si bien remplie ; il vivra dans l’estime impérissable, dans les regrets affectueux de tous vos collègues, à la meilleure place.