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REVUE PÉDAGOGIQUE

jusqu’à son dernier jour, dont elle a contribué à former l’esprit, dont elle avait en quelque sorte posé la première pierre, et qui, par un juste retour, lui avait ménagé à elle-même comme une seconde vie, ceux-là peuvent seuls le mesurer qui, comme vous, mesdames, l’ont connue de près et observée dans le détail de son œuvre. Mais, par un privilège à la fois triste et doux, il m’appartient plus qu’à personne de le mesurer, à moi qui, durant ces dix années, ait vécu à ses côtés dans un échange incessant de pensées, entretenant avec elle une communauté de sentiments, de desseins, d’espérances, qui a été se resserrant jusqu’à la fin. Avant de nous séparer pour toujours de cette triste dépouille, « vaine image, nous le savons bien, de ce qui n’est plus », je veux essayer de faire revivre quelques-uns des traits qui nous la rendaient à la fois si chère et si nécessaire.

» Le premier de tous, personne ne me démentira parce que tout le monde en était dès l’abord frappé, c’est que Mme de Friedberg était en quelque sorte directrice— née. Elle n’en avait pas seulement l’air et la noblesse d’allure ; elle possédait à un haut degré le don d’autorité. Dans les choses de son ordre, elle excellait à commander, à gouverner, sans bruit, sans raideur, sans effort, avec cette aisance qui résulte d’un prompt discernement des personnes, des caractères, des situations et aussi d’une volonté sûre d’elle-même. Elle avait la décision prompte, l’initiative hardie, ne reculant jamais devant une responsabilité à prendre. Tout venait en aide à ce don naturel : un tact exquis, un sens pratique très exercé, une expérience longue et variée du monde et de la vie, et plus encore, une certaine hauteur d’esprit qui la détournait des tracasseries, des petitesses, des préventions obstinées, des rancunes, qui lui faisait modifier son jugement sur les personnes, qui l’empêchait de s’abaisser à la recherche d’une vaine popularité ou de se livrer à des préférences exclusives ; enfin un grand empire sur soi et la patience d’attendre l’heure opportune pour parler ou agir. — À ces divers signes, comment ne pas reconnaître la femme faite pour diriger ?

» Un autre trait la distinguait encore, dû peut-être aux circonstances de sa vie non moins qu’à la nature ; trait infiniment rare, et qui marque sa physionomie propre. Elle n’était pas exclusivement ni essentiellement une femme d’école : c’était une femme du monde, qui avait voué sa vie et donné son cœur à l’éducation publique. Si j’osais ainsi parler, c’était, au milieu de la congrégation scolaire, une séculière, séculière d’esprit, de sentiments, de tenue. Épouse et mère, elle avait traversé la bonne et la mauvaise fortune ; son existence ne s’était pas écoulée tout entière d’une école à une autre école. Aussi faisait-elle entrer avec elle l’air du dehors dans les établissements qu’elle avait à diriger. Rien de pédantesque, rien qui trahit la petite chapelle, ni ton dogmatique, ni langage particulier, ni prétention d’aucune sorte ; rien non plus d’ « émancipé » et de hardi. Toujours digne et grave autant qu’aimable, elle savait imprimer à tout ce