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QUELQUES MOTS SUR LE PÉDAGOGUE ET LA PÉDAGOGIE

avec toute son expérience et tout son cœur. Cette supériorité de vues naturelles et d’habileté instinctive est le motif dont s’autorisent ceux qui seraient disposés à n’attacher à la science en pédagogie qu’une importance secondaire. C’est là proprement, en effet, ce qu’on appelle le don. Mais si le don est indispensable dans toute fonction où l’éducation est intéressée, il ne se suffit pas à lui-même. Ce que la nature a préparé a besoin d’être approfondi, confirmé, complété par la science. Les ressources de l’art le plus actif et le plus ingénieux s’épuisent si la méditation des principes ne le soutient, si l’étude des faits psychologiques ne le renouvelle.

L’union de la doctrine et de l’expérience, voilà donc ce qui constitue la pédagogie. Elle n’est féconde qu’à ce prix. Les uns peuvent l’étudier dans ses principes, les autres la suivre dans le détail des applications ; c’est ainsi que l’œuvre s’enrichit : elle forme aujourd’hui, dans tous les pays, dans le nôtre non moins qu’ailleurs, ce que les Allemands appellent une littérature. Mais ceux qui font profession d’appliquer à l’éducation le fruit de l’œuvre commune sont tenus à la fois et d’avoir réfléchi aux fins de la pédagogie et d’en avoir observé les moyens. L’enseignement primaire n’est décidément entré chez nous dans la voie du progrès que depuis que l’idée pédagogique y a été introduite avec l’élévation de vues et la sûreté d’impulsion qu’elle comporte. C’est l’idée pédagogique qui a transformé en ces derniers temps notre enseignement supérieur. Elle commence à renouveler aussi notre enseignement secondaire en faisant pénétrer de mieux en mieux dans la direction du développement physique, intellectuel et moral de la jeunesse l’esprit d’harmonie et de mesure qui est le fond de toute éducation, en même temps que l’habitude de la vie intérieure et de l’action personnelle qui en est l’âme. Les écoles des Jésuites, l’Oratoire, Port-Royal, n’ont place dans l’histoire que parce qu’elles ont créé une pédagogie. Ce qui a manqué à l’Université avant Rollin et le président Rolland, c’est d’avoir la sienne. La pédagogie ainsi comprise est le point de départ et le point d’appui de toute réforme sociale. C’est en ce sens que Leibnitz a pu dire que « celui qui est le maître de l’éducation est le maître du monde ».