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REVUE PÉDAGOGIQUE

songeront en aucune façon à commander des portes ou des fenêtres, des tables ou des armoires aux menuisiers et serruriers indigènes, pas plus que ceux qui habitent nos villes, et qui voient ce que nous faisons, n’éprouvent actuellement le besoin de s’adresser à nos ouvriers pour nous imiter. Je ne dis pas qu’ils ne s’en aviseront pas un jour, et qu’ils ne feront pas construire des maisons et fabriquer des meubles semblables aux nôtres. Peut-être même s’adresseront-ils à nos tailleurs et à nos chapeliers pour échanger leurs costumes contre les nôtres, bien qu’ils n’aient qu’à perdre au change. Je ne veux jurer de rien. Mais nous n’en sommes pas là pour le moment ; et si l’on jugeait de l’amour du changement chez les indigènes d’après les réformes accomplies par ceux qui vivent en contact de chaque jour avec nous depuis soixante ans, on serait bien obligé de convenir qu’aucune population ne réalise mieux que celle-là l’idéal de l’immutabilité.

Autant les Israélites indigènes se sont empressés de nous imiter dans leur costume, leur habitation, l’instruction donnée à leurs enfants, le langage, les manières et toutes les choses extérieures, autant les Arabes et les Kabyles ont peu songé à suivre notre exemple.

Et si l’on parvient un jour à produire chez eux quelque changement, ce sera beaucoup plus, j’en suis convaincu, et je pourrais citer des cas particuliers qui sont une preuve de ce que j’avance, en agissant sur eux par l’éducation, par une culture générale, profonde, rationnelle, propre à modifier leurs idées et leurs sentiments, que par un enseignement de l’œil ou de la main destiné à leur fournir prématurément les moyens de satisfaire des besoins de confortable qu’ils n’éprouvent pas. Si c’est un lieu commun en France de dire que l’école doit former des hommes avant de faire des menuisiers ou des maçons, je voudrais bien savoir pourquoi cette vérité ne serait pas de mise en Algérie ?

Mais supposons qu’il soit utile de former à foison des ouvriers du fer et du bois, est-ce réellement dans nos écoles primaires qu’ils pourront faire leur apprentissage ?

On nous crie : « Ouvrez l’école aux métiers ! » — C’est facile à dire, mais impossible à exécuter.

A-t-on seulement réfléchi à l’âge de nos élèves ? S’est-on demandé si des enfants de six à treize ans pouvaient être sérieusement transformés en apprentis, et si avant treize ans un bambin pouvait être mis au travail de la forge ou de la menuiserie ?

Nous répondra-t-on qu’il ne s’agit que des plus âgés, de ceux de plus de treize ans par exemple ? Ceux-là commenceraient réellement l’apprentissage du métier. Les autres seraient occupés à des études préparatoires, c’est-à-dire au pliage, au tressage, au cartonnage, aux ouvrages en osier, en roseaux, en alfa, en fil de fer, à tous les petits travaux manuels qui, s’ils ne sont pas d’une grande utilité par eux-mêmes, n’en servent pas moins à développer la dextérité de la main, l’adresse, le goût des combinaisons ingénieuses, des arrangements