Page:Revue pédagogique, second semestre, 1891.djvu/510

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
500
REVUE PÉDAGOGIQUE

lons, de crêtes, de promontoires ou de bras (iril en kabyle), séparés entre eux par des vallées escarpées, des lits de torrents. des ravins à parois souvent presque verticales, des précipices vertigineux. Tout cela est dominé par la masse rocheuse et nue du Djurdjura : le plus haut sommet du Djurdjura, c’est celui de la Lalla-Khédidja, à 2,500 mètres au-dessus du niveau de la mer, couvert de neiges pendant plusieurs mois de l’année. La Lalla-Khédidja, cette Jungfrau de l’Algérie, qui a la forme d’une corne, atteint donc à la moitié de la hauteur du Mont-Blanc. Et il ya dans ces noms des souvenirs des temps antiques. Le Djurdjura ou Djerdjer, c’est comme le mausolée géant du patrice byzantin Grégorios (en arabe Dj erdjer), qui périt au viie siècle en combattant l’invasion arabe ; Lalla-Khédidja, c’est le nom d’une prophétesse musulmane, à laquelle cette corne neigeuse fut consacrée, après l’avoir été certainement à Tanit, la grande déesse de Carthage, probablement ensuite à la Vierge-mère des chrétiens.

Dans cette abrupte Kabylie, deux centres d’habitation, distants à vol d’oiseau de quelques kilomètres seulement, comme par exemple Fort-National et le groupe des Beni-Yenni, sont en réalité séparés par quinze ou vingt kilomètres de marche. On va de l’un à l’autre par des sentiers tortueux, plus montants et plus descendants que des « montagnes russes », lavés par des cascatelles, parfois emportés par des orages ; souvent vous cheminez avec une muraille de roches au-dessus de votre tête et un précipice sous les sabots de votre mulet. Ne vous fiez pas trop au pied soit-disant infaillible de ces animaux. Ils ont la manie de marcher tout au bord, et il n’est pas sans exemple que le bord ait cédé sous la pression du sabot.

Un jour, j’ai bien failli sauter le pas. Sur l’étroit sentier, ma mule se rencontre nez à nez avec un objet dont l’étrangeté la surprend. C’était un âne qu’un Kabyle ramenait du marché et sur lequel, par un singulier caprice, il avait posé en travers un mouton vivant. Et ma bête de renifler, de se rassembler sous la main, de reculer sans s’inquiéter où elle posait les pieds de derrière. L’indigène vit aussitôt de quoi il retournait : il laissa là son âne et son mouton cavalier, cause de tant d’émoi, avança doucement la main, prit la bride de ma monture et me fit passer le défilé.

Au temps où les tribus se faisaient encore la guerre, on voit