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L’ENSEIGNEMENT CHEZ LES INDIGÈNES MUSULMANS D’ALGÉRIE

de miracles et de légendes. Cependant la croyance à ces saints nationaux a beaucoup diminué depuis l’invasion française de 1857. Jusqu’alors, les irruptions étrangères, celles des Turcs, par exemple, avaient bien couvert la plaine, mais s’étaient toujours arrêtées au pied de la montagne. Évidemment, c’étaient les koubba des bienheureux, des « quarante saints » nationaux qui leur barraient le passage ; les Turcs savaient que s’ils se hasardaient dans ce redoutable voisinage, les marabouts tutélaires feraient tomber sur eux tous les feux du ciel. Or, en 1857, les soldats du maréchal Randon inondèrent non seulement la plaine, mais la montagne ; les « grandes capotes », les « jambes rouges » >, passèrent auprès des koubba sans s’émouvoir, battant « leurs tambours de cuivre qui grondent comme le tonnerre »[1] ; les saints ne lancèrent pas la foudre et laissèrent profaner leurs sanctuaires. Alors, comme eussent fait ces paysans de Bretagne qu’a dépeints M. Renan, les Kabyles devinrent incrédules ; leurs poètes populaires raillèrent l’impuissance des bienheureux : « Infortunés Quarante saints, s’écrie l’un d’eux, où étiez-vous quand brûlait la mosquée de Bou-Zikhi ! ». Les marabouts vivants, qui avaient prêché la guerre sainte et promis la victoire, tombèrent dans le même discrédit que les marabouts morts : « Malheureux cheik Ben-Arab, pourquoi avais-tu disparu, ô saint ! Pourquoi nous disais-tu le Chrétien ne gravira pas la montagne, puisqu’en définitive il l’a vaincue jusqu’aux Beni-Yenni ? »

Malheureusement, la popularité qu’avaient perdue les saints vivants ou morts du pays, ce furent les Khouan qui la gagnèrent, et principalement la confrérie des Rahmanya. Après 1857, elle se développa rapidement et c’est elle qui, dans l’insurrection de 1871, a jeté cent mille guerriers sur nos établissements.

Il est possible, après l’insuccès et les désastres de cette nouvelle guerre sainte que la popularité des Khouan aille rejoindre celle des anciens marabouts et que le scepticisme fasse de nouveaux progrès dans les tribus[2].

On voit ce que les Kabyles ont accepté de l’islamisme au point de vue religieux ; ils n’ont presque rien admis du Koran au point de vue des lois civiles et criminelles. Tandis que pour les Arabes et

  1. A. Hanoteau, Chants populaires de la Kabylie du Djurdjura.
  2. Sur toutes les questions relatives aux Kabyles, voyez : Hanoteau et Letourneux, la Kabylie et les coutumes kabyles, 3 volumes, Paris, 1873 ; Hanoteau, Chants populaires de la Kabylie, Paris, 1867 ; Masqueray, Formation des cités chez les populations sédentaires de l’Algérie, Paris, 1886 ; L. Rinn, Marabouts et Khouan, Alger, 1884 ; L. Rinn, Histoire de l’insurrection de 1874, Alger, 1891.