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LE VRAI DANS L’ÉDUCATION

La vie de la pensée. Il semble qu’il soit le plus « vécu » de l’ouvrage, et que l’auteur y livre son propre secret. Nous ne résistons pas au plaisir de donner en entier une de ces belles et profondes pages :

« La simple lecture de certains livres de philosophie religieuse suffit pour rasséréner l’esprit et réconforter le cœur. Oh ! que le hasard est bienfaisant (faut-il l’appeler hasard ?) s’il a placé sous vos yeux, alors que vous étiez encore enfant, des pages d’une haute et sainte inspiration ! Remerciez le ciel de vous avoir donné l’instinct du vrai, il vous aidera à rencontrer des génies de lumière, et vous fera reconnaître les esprits qui appartiennent à une même famille, ceux qui ont foi dans la vie éternelle. On se prépare ainsi un refuge de paix d’où l’on contemple le ciel moral étoilé de vérités ; il nous donne ici-bas l’immortalité. Chaque matin, baignez votre esprit dans cette pure lumière, respirez cette atmosphère imprégnée de saines pensées, fortifiez-vous dans ces régions plus hautes que les cimes alpestres. Elles sont nécessaires, ces heures où l’on vit pour son propre compte, c’est-à-dire pour acquérir un bien quelconque, ne fût-ce qu’une goutte de rosée qui alimentera la végétation intellectuelle. Commencez la journée par un recueillement divin. Je dirai qu’un livre didactique, tout d’analyse, nous fait mieux pénétrer dans cet univers moral que des pages littéraires éloquentes où la poésie, la beauté de la forme nous absorbent et nous font perdre de vue la ligne géométrique de la vérité. Un livre qui est une sorte de cosmos idéal force les ignorants à réfléchir, à sonder les lois qui règlent la constitution morale de l’être humain. L’âme apparaît alors comme le couronnement de la création, le plus accompli des globes célestes destinés à se mouvoir dans l’espace. Un des plus grands bienfaits de notre temps, c’est la vulgarisation des hautes pensées, autrefois réservées aux savants, confinées dans la poussière des bibliothèques, verrouillées, protégées par des fermoirs, comme des mystères sacrés, protégées surtout par l’obscurité du vocabulaire. L’Impératif catégorique, les Postulats de la conscience, autant de termes cabalistiques pour les ignorants. Mais toutes les libertés se tiennent ; aujourd’hui la science popularisée a fait descendre l’abstraction des hauteurs inaccessibles où elle s’isolait.

Pour ressaisir l’équilibre de l’esprit, essayez aussi de lire chaque soir quelques pages de Platon. Je ne dis pas seulement le Phédon ; il y a même dans la République, dans les Lois, des vérités éternelles qui vous transportent au milieu de la région familière aux sages, aux saints ; elles vous calment et vous fortifient dans une idée impersonnelle de justice, qui vous fait braver le jugement des contemporains. Au milieu de la destruction universelle, on se sent invulnérable, puisque la pensée est impérissable et tout le reste éphémère. »