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analyses. — j.-f. astié. La théologie allemande contemporaine

bles, conserver l’ancienne théorie de l’infaillibilité biblique, ou plutôt comment accorder les desiderata du critique avec les exigences du dogmatiste qui a besoin de conserver au recueil sacré une autorité divine ?

Rothe répond, avec beaucoup d’autres, en distinguant entre la révélation, seule infaillible, et la Bible, simple document de la révélation, qui nous a conservé de la première tout ce qu’il était essentiel que nous connussions. La tâche de la critique consistera à séparer du fond infaillible les éléments périssables, et celle-ci, au lieu d’être l’adversaire de la foi, en sera devenue le plus précieux auxiliaire.

La Bible, dit à peu près l’éminent théologien de Heidelberg, la Bible n’est pas un livre absolument à l’abri de toute erreur ; mais elle est un instrument suffisant pour arriver à une connaissance infaillible de la révélation, puisqu’elle possède tous les moyens nécessaires pour se corriger elle-même. — Est-ce à dire que son autorité normative soit compromise ? Nullement ! pourvu qu’on sache comprendre que le titre de document historique suffit à tous égards pour l’établir. L’infaillibilité qu’enseigne l’orthodoxie courante est immédiate ; elle réside dans les différents livres et versets. Ce n’est, au contraire, qu’à la suite d’un travail scientifique qu’on arrive à celle qui est admise par la théologie moderne. L’une est absolue, l’autre relative.

La Bible n’est même pas le document historique de la, révélation au sens absolu du mot, elle est plutôt le document historique sur la révélation ; non un manuel d’enseignement que Dieu nous a communiqué sur la révélation ; mais ce que nous appelons une source historique, c’est-à-dire un document, ou un ensemble de documents, duquel seul nous savons que nous pouvons tirer la vérité. Car, ajoute Rothe, en traitant la Bible comme document historique, on ne renonce pas à lui reconnaître une infaillibilité relative. On possède, en effet, en elle un instrument parfaitement suffisant pour arriver à une connaissance infaillible de la révélation, spécialement du Christ.

C’est ici, on le sent, le point délicat. L’ancienne théologie avait entouré le recueil sacré d’une enceinte infranchissable ; elle s’était ingéniée pour substituer à l’autorité de l’Église, jadis garante du canon, mais détruite par la Réforme, un système défensif complet et sans brèches. Avec Rothe et les théologiens modernes, l’ennemi pénètre sans rencontrer d’obstacles au cœur même de la place. Il ne reste plus qu’à faire appel au sentiment chrétien lui-même. « Quand on croit à la révélation, — nous reproduisons d’après M. Astié ces curieux développements qui jettent un jour intéressant sur une pensée à la fois téméraire et subtile, — quand on possède le sentiment d’être racheté en Christ, dit Rothe, on doit ou affirmer cette infaillibilité-là, ou renoncer à sa foi en la révélation et tenir pour mensongères les expériences de salut qu’on a faites par son moyen. En effet, la révélation ne doit pas être un simple météore destiné à disparaître sans laisser de traces, mais une révélation qui soit une causalité divine provoquant tout un développement histo-