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DE LA PLACE DE L’HYPOTHÈSE

DANS LA SCIENCE[1].


(suite et fin)



Le principe de causalité (ex nihilo nihil) est le postulat général de la science. Si un fait pouvait se produire à partir du néant, sans aucune raison d’être, nous ne pourrions aspirer à rendre raison de rien ; le fil des recherches serait à jamais coupé. Ce principe fondamental s’applique à deux classes de causes : les causes soumises dans leur action à un déterminisme absolu et les causes douées d’un élément de liberté. S’agit-il des causes libres ? Leur action ne peut être prévue avec une certitude absolue, puisque la possibilité de conséquents divers, les mêmes antécédents étant donnés, est l’idée même de la liberté. En ce cas, la question de la cause porte sur les déterminations de telle ou telle volonté. On demande, par exemple, si le couronnement de Charlemagne par le pape Léon III, le 25 décembre de l’an 800, fut le fait d’une volonté du pape inconnue de Charles, ou le résultat de la volonté de Charles lui-même[2]. Ce sont deux hypothèses portant sur la causalité d’agents libres.

Dans tous les ordres de faits où la liberté n’intervient pas, une cause est un antécédent dont un conséquent suit selon une loi fixe, de telle sorte que, lorsque la loi de succession est connue, l’antécédent étant donné, on peut déterminer le conséquent par un procédé logique. Trois corps étant donnés, par exemple, avec leurs masses et leurs distances respectives, si l’on fait abstraction des autres éléments de l’univers, le calcul établira avec certitude, d’après les lois de la gravitation, quels seront les mouvements de ces corps. Tels éléments chimiques étant donnés, on sait que, à tel degré de température, on obtiendra une combinaison connue. De tel germe organique, placé dans les conditions nécessaires à la vie, on peut dire à l’avance qu’il résultera telle plante ou tel animal.

  1. Voir la Revue philosophique du 1er juillet.
  2. Voir le Sacre de Charlemagne à la fin des Souvenirs de Vulliemin. Lausanne, 1871.