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naville. — hypothèse dans la science

Lorsque Cuvier, jetant les bases de la paléontologie, réussit à reconstruire théoriquement un animal avec quelques débris trouvés dans le sein de la terre, il excita une admiration pleine de surprise. Quelle était sa découverte ? Le principe de la corrélation des formes. Il existe un tel rapport entre l’estomac, les mâchoires, les dents et les moyens de locomotion d’un animal, que, de la connaissance d’une de ces parties, on peut déduire les autres. Pourquoi ? Parce que l’être vivant est harmonique, et que tout en lui concourt à un but défini : l’alimentation. Il ne s’agit pas ici de soulever des questions relatives à l’origine des êtres vivants, ou de se livrer à la considération des causes finales dans un sens métaphysique, il faut constater seulement que l’idée de la finalité, c’est-à-dire du rapport des organes aux fonctions, et des fonctions à l’entretien de la vie, est le grand principe directeur des hypothèses biologiques. Comme la vie ne se manifeste que dans la matière, et au moyen de toutes les lois qui président au mouvement de la matière, la biologie fait continuellement appel au mode d’explication des physiciens ; mais l’idée de la finalité, conséquence immédiate de l’harmonie qui caractérise les êtres vivants, forme le caractère distinctif des recherches spéciales à la science de la vie.

Le rôle de l’observation directe dans les études physiologiques est amoindri par le fait de la vie même, qui ne permet pas de décomposer un être organisé dans ses éléments et de le recomposer ensuite, comme cela a lieu en chimie. Malgré toute l’habileté des vivisecteurs, il restera toujours un grand nombre de faits qui échapperont à l’observation immédiate, en sorte qu’il faudra les supposer, puis vérifier l’hypothèse dans ses conséquences.

Le but dernier de la physiologie est de découvrir les propriétés des éléments constitutifs du corps organisé. Ces propriétés sont conçues comme fonctionnelles, c’est-à-dire comme relatives à un certain usage. Il en résulte que les progrès de la science ne consistent jamais qu’à déterminer, d’une manière toujours plus précise, les rapports des organes aux fonctions et des fonctions à l’entretien de la vie, c’est-à-dire des rapports de finalité. On peut analyser le sang comme on peut analyser un corps inorganique, sans autre but que de constater sa composition : c’est l’œuvre du chimiste. Le physiologiste, partant des résultats obtenus par le chimiste, cherche le rapport des éléments du sang à la nutrition : c’est le point de vue spécial de sa science.

La considération des causes finales est étrangère, comme je l’ai dit, à la physique spéciale ; mais cette considération reparait si l’on envisage le monde inorganique comme un tout ; ce qui est le point