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Je crois que c’est une entière nouveauté en philosophie, et, autant que j’en puis juger, je n’ai ici aucun précurseur. De temps à autre, les philosophes ont fait des recherches sur la nature de la connaissance ; mais aucun s’est-il jamais préoccupé de déterminer la nature de l’ignorance ? »

Le nom de cette partie des Institutions est nouveau comme le sujet dont elle traite : voyons la suite des huit propositions qui composent l’Agnoiologie.

« L’ignorance est un défaut intellectuel, une imperfection, une privation ou une limitation. » C’est la définition ordinaire, et il n’y a pas ici de contre-proposition à signaler.

« Toute ignorance peut être corrigée. » Il n’y a pas de connaissance en effet qui soit absolument incompatible avec l’intelligence en général. Nous n’affirmons, d’ailleurs, que la simple possibilité du remède ; peut-être ne s’en présente-t-il pas toujours actuellement. Pas de contre-proposition.

« Nous ne pouvons ignorer que ce que nous pouvons connaître ; en d’autres termes, il n’y a d’ignorance que de ce qui est susceptible d’être connu. » Cette proposition se déduit rigoureusement de la précédente. Elle est aussi importante que la première proposition de l’épistémologie : tout le système des Institutions repose en définitive sur ces deux principes. La contre-proposition : « Ce que nous ne pouvons connaître est précisément ce que nous ignorons le plus complètement, » ne peut être soutenue, si l’on a compris ce qui précède.

« Nous ne pouvons ignorer aucun genre d’objets indépendamment d’un sujet ; en d’autres termes, il n’y a pas ignorance des objets per se, hors de toute relation avec un esprit. » On s’appuie pour le démontrer sur la proposition III de l’agnoiologie, sur la première et la seconde de l’épistémologie. « Les vérités se précipitent maintenant comme un torrent, dit M. Ferrier ; l’épistémologie a ouvert toutes les écluses. » Il est inutile de réfuter la contre-proposition ; elle est visiblement contradictoire.

« Nous ne pouvons ignorer les choses matérielles hors de toute relation avec un esprit, un sujet, un moi ; en d’autres termes, il n’y a pas d’ignorance de la matière en soi. » Ce n’est qu’une application du théorème précédent qui était plus général. L’agnoiologie a principalement pour objet de déblayer la route, de rendre possible le passage de l’épistémologie à l’ontologie. Or, avec l’opinion commune et chère aux psychologues, que nous ne pouvons connaître la matière en soi, l’ontologie est absolument impossible. Kant, avec sa théorie des noumènes, adopte cette contre-proposition » Nous avons