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Paul REGNAUD. — ÉTUDES DE PHILOSOPHIE INDIENNE

Souvent ils dogmatisent et expriment des conceptions qu’ils se contentent d’affirmer ; souvent aussi ils dissertent, argumentent, ou bien invoquent des preuves sensibles et recourent à des exemples et à des comparaisons ; plus souvent enfin, ils s’autorisent des doctrines attribuées aux sages légendaires dont il vient d’être question. Quelquefois même, mais assez rarement, ils appellent en témoignage et commentent à leur guise, des textes empruntés aux Vedas ou aux Brâhmanas.

J’entrerai à cet égard dans quelques détails plus précis, et je citerai quelques exemples intéressants de ces modes primitifs de persuasion ou de démonstration.

Ordinairement, les enseignements qui sont empruntés à la tradition par la Brihad-Âran.-Up. sont précédés d’une certaine mise en scène qu’accompagnent des circonstances caractéristiques dont les côtés réels et parfois pittoresques contrastent avec la généralité et l’abstraction des exposés doctrinaux qui viennent ensuite. C’est ainsi qu’une leçon très-curieuse, sur la nature de l’âme suprême donnée par Yâjnavalkya[1] à l’une de ses femmes, a pour préambule le passage suivant (Brihad-Âran.-Up.. 4. 5, 1-4) :

« Yâjnavalkya avait deux femmes : Maitreyî et Kâtyâyanî. Maitreyî aimait à discourir sur Brahma, tandis que Kâtyâyani n’avait que l’intelligence (ou les préoccupations) d’une femme ordinaire. Or, Yâjnavalkya éprouva le désir d’embrasser un autre genre de vie.

Maitreyî, dit-il, voulant quitter cette situation de chef de maison, pour mener la vie de pèlerin[2], je vais partager ce que j’ai, entre toi et Kâtyâyanî.

Alors, Maitreyî lui dit : — Vénérable, si toute cette terre était à moi avec les richesses dont elle est pleine, serais-je immortelle pour cela ?

Oh ! non, non, répondit Yâjnavalkya, ta vie deviendrait pareille à celle des riches, mais la richesse ne donne pas même l’espoir de l’immortalité.

Maitreyî lui dit : — Puisque je ne deviendrais pas immortelle, au moyen de ces richesses, qu’en ferais-je ? Dis-moi seulement, vénérable, ce que tu sais de propre à me rendre immortelle[3]. »

  1. Maître célèbre dont il est très-souvent question dans le Çatapatha-Brâhmana, ouvrage où se trouve compris la Brihad-Âranyaka-Up. Les Indous lui attribuent un code de lois qui a été publié et traduit en allemand par Stenzler (Berlin, 1849), mais dont la rédaction sous sa forme actuelle ne remonte qu’aux premiers siècles de l’ère chrétienne.
  2. Ou de religieux mendiant. C’est le quatrième état de la vie brâhmanique. Voir les lois de Manu.
  3. Atha ha yâjñavalkasya dve bhârye babhûvatur maitreyî ca kâtyâyanî ca tayor ha maitreyî brahmavâdinî babhûva strîprajñaiva tarhi kâtyâyany atha ha