Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
Paul REGNAUD. — ÉTUDES DE PHILOSOPHIE INDIENNE

N’oublions pas non plus cette façon de montrer que les sens sont impuissants sans le concours de l’esprit (Brihad-Âran.-Up. 1. 5. 3.) :

« De ce qu’on dit — « ma pensée était ailleurs, je n’ai pas vu ; mon esprit était ailleurs, je n’ai pas entendu, » il résulte que c’est par la pensée seulement qu’on voit, c’est par la pensée qu’on entend[1]. »

Mais c’est dans la Chândogya-Upanishad (6. 7. 1-5), que nous trouvons l’exemple le plus curieux de cette sorte de contrôle par l’expérience d’affirmations présentées d’abord dogmatiquement. Uddâlaka Aruni veut que son fils Çvetaketu constate sur lui-même l’exactitude d’une théorie très-matérialiste en apparence qu’il vient développer devant lui et en vertu de laquelle la pensée a pour base la nourriture. Il lui dit :

« L’homme, ô mon ami, est composé de seize parties. Reste quinze jours sans rien manger, mais bois de l’eau à ta guise, car le souffle vital ayant l’eau pour base s’éteindrait si tu ne buvais pas. »

Il (Çvetaketu) resta quinze jours sans rien manger, puis il vint près de lui (son père) : — « Que dois-je dire (réciter comme leçon) ? » lui demanda-t-il. — « Les vers du Rig-Veda, du Yajur-Veda et du Sâma-Veda, ô mon ami, » répondit le père. — « Je ne les ai pas présents à l’esprit, dit-il. »

« Uddâlaka lui dit : — « De même, ô mon ami, qu’un seul charbon pas plus gros qu’un khadyota (sorte de mouche luisante), reste d’un grand bûcher, ne donnerait pas beaucoup de chaleur, de même, ô mon ami, il ne te reste qu’une seule partie des seize qui composaient l’homme en toi, et tu ne peux maintenant retenir les Vedas avec elle seule. Mange,

« Et tu me comprendras. » — Il (Çvetaketu) mangea, puis il vint trouver son père et lui fournit (récita) tout ce qu’il lui demanda. Il (Uddâlaka) lui dit : — « De même, ô mon ami, qu’on ferait flamber en le chargeant d’herbes sèches un seul charbon pas plus gros qu’un khadyota qui serait le reste d’un grand bûcher, et que par ce moyen il donnerait beaucoup de chaleur,

« De même, ô mon ami, il n’y avait qu’une seule partie qui restât des seize qui composent l’homme en toi ; l’ayant couverte (fournie) de nourriture, elle a flambé et, grâce à elle, tu retiens maintenant les Vedas. C’est que la pensée, ô mon ami, a pour base la nourriture…[2] »

  1. Anyatramanâ abhûvam nâdarçam anyatramanâ abhûvam nâçrausham iti manasâ hy eva paçyati manasâ çrnoti.
  2. Shodaçakalah somya purushah pañcadaçâhâni mâçîh kâmam apah pibâpomayah prâno na pibato vicchetsyata iti. Sa ha pañcadaçâhâni nâçâtha hiainam upasasâda kim bravîmi bho ity rcah somya yajumshi sâmânîti sa hovâca na vai mâ pratibhânti bho iti. Tam hovâca yathâ somya mahato’bhyâhitasyaiko