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condamné à n’aboutir jamais. Sans doute, on ne peut contester, en un sens, que le métempirique ne soit par définition inconnaissable ; car par cela qu’il tomberait sous les prises de l’une quelconque de nos facultés, il serait en quelque manière objet d’expérience, au moins pour la conscience ; il ne serait donc plus rigoureusement métempirique. Mais il s’agit de savoir si, comme le soutient M. Lewes, il n’y a d’expérience que dans l’ordre de la sensation. M. Lewes nous déclare que l’esprit ne possède pas un sens spécial pour saisir le métempirique et « qu’une aspiration sublime vers les choses telles qu’elles sont en soi, est sublimement irrationnelle. » — Veut-il dire par là que nous ne pouvons rien connaître en dehors des données sensibles et des généralisations plus ou moins élevées qu’il est possible d’en tirer ? C’est là, croyons-nous, sa pensée ; mais, encore une fois, quelle preuve en donne-t-il ? A-t-il réfuté ceux qui soutiennent que l’esprit porte en lui-même certaines intuitions primordiales que l’expérience externe n’engendre ni n’explique, certains pressentiments confus de vérités et de réalités d’ordre absolument suprasensible ? Ce sera, si l’on veut, de l’expérience, car il est clair que de telles intuitions, pour nous donner une connaissance, doivent passer à l’état de modes positifs de la pensée, que le sens intime constate comme tout autre fait psychologique ; mais c’est une expérience, dirions-nous, dont le germe tout au moins est inné ; elle ne doit à la sensation ni son objet ni la certitude qu’elle implique ; elle est par sa nature constitutive de notre intelligence ; elle est la manifestation nécessaire de l’activité fondamentale de l’être pensant.

M. Lewes ne nie pas, il est vrai, l’existence d’intuitions à priori ; mais, adoptant la célèbre théorie de M. Spencer, il n’y voit que le produit, lentement élaboré, de sensations très-générales et très-fréquentes qui peu à peu, par une incessante répétition, ont modifié l’organisme cérébral de l’espèce, s’y sont en quelque sorte imprimées d’une façon durable, et se sont ainsi accumulées et transmises par hérédité, sous forme de tendances instinctives de la pensée, antérieures à toute expérience individuelle. — Mais une telle hypothèse, tout ingénieuse et séduisante qu’elle soit, ne s’est encore justifiée par aucune preuve, et il serait aisé de soulever contre elle de graves objections. En tout cas, ces intuitions sensibles, héréditairement transmises, ne pourraient jamais avoir d’autre objet que des choses ou des qualités sensibles ; admettons qu’elles renient compte à la rigueur des notions de temps et d’espace, parce que la succession ou la co-existence sont les deux conditions essentielles de la représentation des phénomènes extérieurs : comment nous élève-