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l. carrau. — la philosophie de m. g. h. lewes

dépendant en soi de l’organisme. La conscience n’est, il est vrai, la fonction d’aucun organe particulier, et le matérialisme vulgaire se trompe grossièrement quand il en fait une sorte de sécrétion du cerveau ou des cellules de la substance grise. La conscience c’est l’organisme tout entier, arrivé à un certain degré de son évolution, et manifestant à ce degré une propriété nouvelle. Elle émerge naturellement d’un ensemble de conditions organiques, dont elle n’est, répétons-le, que le côté subjectif et dont elle suit toutes les variations.

On ne doit pas se faire du moi une idée différente. Ces caractères d’unité, de simplicité, que le sens intime lui attribua, ne prouvent en aucune façon, comme le prétendent les spiritualistes, qu’il soit un principe substantiellement distinct. Cette unité, cette simplicité ne sont pas celles d’une monade, selon la conception leibnitzienne ; elles ne sont que l’expression synthétique d’une pluralité de processus à la fois physiologiques et psychologiques. Le moi n’est pas une cause dont les phénomènes de conscience seraient les effets ; il est un produit, une somme, une résultante que l’abstraction sépare ultérieurement de ses composantes et de ses facteurs. Le considérer comme une chose pouvant exister indépendamment des groupes de vibrations nerveuses qui subjectivement sont des sensations, c’est être le jouet d’une illusion de l’analyse, toujours disposée à transporter dans l’ordre de la réalité les divisions qu’elle introduit dan s l’ordre de la représentation.

En résumé donc, la conscience et le moi n’existent que comme propriété générale et synthèse abstraite d’une classe spéciale de phénomènes ; eux-mêmes ne sont, objectivement, que des phénomènes vitaux modifiés et rendus plus complexes par des conditions nouvelles ; subjectivement, des sensations.

On le remarquera : la théorie de M. Lewes ne se confond pas avec celle que développe M. Spencer dans ses Principes de Psychologie. M. Spencer semble aboutir à la conception de deux séries parallèles, irréductibles Tune à l’autre, l’une, de mouvements nerveux, l’autre, d’états de conscience. M. Lewes supprime ce dualisme ; pour lui, les deux séries n’en font qu’une et la distinction n’existe plus que dans les points de vue auxquels on se place pour la considérer. La sensation et ses conditions organiques sont comme la convexité et la concavité d’une même courbe.

Maintenant, que penser de cette doctrine ? Elle nous paraît avoir un défaut capital ; c’est qu’elle ne peut rendre compte de la possibilité du subjectif. L’opposition du subjectif et de l’objectif se traduirait bien par celle du dedans et du dehors, plus fréquemment